Frédéric Rapin

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Prof. Frédéric Rapin occupait le poste de premier soliste à l’orchestre Musikkollegium de Winterthour, avant d’être appelé à la Haute école de musique de Lausanne où il dirige actuellement une classe de virtuosité et de musique de chambre. L'interview avec Frédéric Rapin a eu lie à Fontaines-sur-Grandson le 25 août 2017 et a été réalisé par Heinrich Mätzener.

Canon didactique

HM : Est-ce que dans tes cours tu demandes chaque semaine un parcours de technique et d‘études, selon les capacités de l‘élève ? Et seulement après ce travail, on passe à la littérature et aux questions d’interprétation ? Ou penses-tu que c‘est mieux de se concentrer au début sur le travail musical des morceaux, et de rajouter les exercices pour la technique selon les besoins de la littérature ?

D’abord la motivation

FR : Évidemment Il est important d’avoir une solide base technique. Je fais ici une parenthèse avec le cas des débutants, durant les premiers temps d’étude : pour moi, cela va dépendre un peu du profil de l’élève. Je pense qu’il faut s'adapter un minimum à la situation, et là je fais référence à quelque chose que j'ai vécu personnellement quand j'étais tout jeune : j'ai commencé la clarinette après avoir fait du piano, je travaillais moyennement, je n'étais pas un super travailleur, et puis j'ai reçu pour mon anniversaire deux disques de Lancelot qui jouait Mozart et Weber. J'ai écouté, ça m'a plu et je me suis dit : j'aimerais arriver à jouer comme sur les disques ! C'est l'écoute des disques qui a boosté mon travail, en fait. J'avais hâte de progresser et mon professeur, Claude Trifoni, excellent pédagogue, a réagi en me donnant plus à faire, en me proposant des pièces assez difficiles à travailler, parce que tout d'un coup j'ai eu une motivation aiguisée par l'écoute de ces disques. Et je me suis passionné pour l’instrument. Donc je suis parti de là, sans avoir une technique avancée, mais il y a eu un déclic important, et on m'a fait faire les exercices adéquats qui m’ont fait progresser très rapidement.

Travailler la technique, mais s’adapter à l’étudiant

HM : Guy Deplus demandait à tous et pour tous les niveaux de travailler chaque semaine les gammes, accords, tierces d’une tonalité choisie. J’ai essayé d’adapter ce système et je demande à tous, aussi aux étudiants avancés, un circuit d'échauffement qu’on travaille en classe. Comment résouds-tu le problème de devoir amener les étudiants à un bon niveau technique ? Est-ce que tu donnes des devoirs techniques précisés et tu les contrôles régulièrement ?

FR : Je dirais qu’il faut bien sûr une solide base technique, mais sans être trop dogmatique et risquer ainsi que l'élève ne soit découragé par une somme d'exercices trop importante. Il faut que cela débouche sur quelque chose... Pour ma part, je ne fais pas jouer systématiquement à chaque cours des gammes, arpèges, intervalles, etc. aux élèves, cela dépend des cas. Avec ceux qui ont des lacunes, j'en fais, bien sûr. Je sais qu'en France le travail systématiquement des gammes, des arpèges, tout l’aspect purement technique, occupe une place extrêmement importante. Dans le cas d’un élève débutant, tu le sais comme moi, si on travaille avec un matériel comme la méthode Klosé [1], c'est encore valable pour les plus doués, mais généralement trop austère. Le matériel a évolué, il est plus progressif, plus attractif, les possibilités de choix sont beaucoup plus grandes. Avec des étudiants professionnels, je fais volontiers, en début de cours, déchiffrer un fragment de pièce du répertoire, ou une étude lente, et là je profite de faire des remarques sur la sonorité, le phrasé. En parallèle, si c'est une pièce tonale, je fais travailler des gammes dans la tonalité de la pièce. Je passe généralement plus de temps sur l’interprétation que sur des exercices techniques, qu’il faut surtout faire à la maison, entre les cours. Le risque est évidemment que certains élèves manquent parfois de rigueur dans leur travail personnel si on leur fait trop confiance. En résumé, de façon générale, je ne fais pas systématiquement la même chose avec tous les élèves.

Travailler la technique avec la meilleure qualité sonore

HM : Comment fais-tu travailler les gammes ?

FR : On peut faire des gammes de 36000 façons (démonstration). Il faut travailler progressivement. Pour commencer, je dirais que pour l’étude des gammes, il faut travailler d’abord par octave. L’important est une grande homogénéité du son, tant au niveau du volume que de la couleur. Que ce soit dans les gammes, arpèges, intervalles et exercices de doigts spécifiques, il est capital de s’écouter, d’observer sa colonne d’air. Les sons doivent être aussi soignés qu’au concert, sinon ça ne sert à rien.



La qualité sonore

HM : Comment est-ce qu’on peut décrire un bon son ?

FR : Personnellement, j’ai été très influencé par « l'école française ». J'avais au début un son assez typé, clair, style « vieille école Française ». Après, comme soliste d’orchestre au Musikkollegium Winterthur, j'ai assombri un peu mon son, je l'ai un enrobé davantage. Mais j’ai toujours gardé un son assez timbré, avec du focus. Après quelques décennies, cela a encore évolué, je ne dirais pas que j'ai un son typiquement français : on m'a dit que c'est un mélange de plusieurs choses. Mais il est resté un fond français, une certaine légèreté, dans un son que j’aime rond, chaud et plein. Avec mes élèves, j’insiste beaucoup sur la projection du son, qui va découler logiquement d’un bon usage des ouvertures (bouche, gorge), d'un souffle efficace et confortable, à l’aide du diaphragme. On doit être capable de remplir une grande salle avec un pianissimo, de sorte que l’auditeur ait l’impression qu’on est à côté de lui, et non à distance, sur le podium…

HM : C'est un piano sans bruit…

FR : Bien sûr un pianissimo doit être très pur, avec beaucoup d’harmoniques et du focus, et la pression d’air doit partir vraiment du diaphragme. Pour que le son soit joli, il faut que les lèvres soient bien positionnées autour du bec, avec un certain tonus musculaire, mais sans serrer. Il y a une dizaine de muscles qui tiennent ensemble. Il ne faut jamais écraser l’anche, seulement la soutenir afin qu’elle vibre de façon optimale. J'utilise beaucoup le terme de « focus » : il faut que le son ait un minimum de centrage. Je prends souvent l'exemple d'un fruit, avec un noyau assez gros, un avocat par exemple. Donc un son qui résonne autour d'un noyau, qui rayonne à partir du centre. C’est une image. Je fais souvent un dessin, avec un rond noir, et petit à petit ça part en ellipse, comme un escargot : c'est l’image du son qui résonne. Il faut qu'il y ait ce noyau, sinon on a des problèmes d'intonation, on ne sait pas trop si on est trop haut ou trop bas, on a de la peine à s'accorder, le son manque de présence et de couleur, d’élégance aussi. Il est important que le focus soit stable, c’est à partir de là qu’on va construire le son.

Facteurs déterminants la qualité sonore

HM : Comment travailler la technique de base pour obtenir une bonne qualité sonore ?

Position de la gorge

FR : Dans la position de base, on ouvre la gorge pour augmenter le plus possible la cavité buccale, mais sans crispation. C’est comme si on bâillait ! La position sur « ah », la langue un peu rétractée, est un bon repère : il faut vraiment partir là-dessus. Alors le son vient se placer naturellement, il peut s'épanouir. C'est la position de base, je crois que tout le monde est d'accord là-dessus.

Différentes voyelles formées par la langue...

Il y a quelque chose d’un peu paradoxal : il faut que la gorge soit ouverte, avec la langue un peu rétractée, et en même temps la langue va devoir travailler, avec son extrémité, à la pointe de l'anche. L'écoute critique du son va aider à positionner la langue correctement.

HM : Pourrait-on dire : la langue se positionne et se forme dans un mélange de voyelles?

FR : On pourrait dire un mélange entre O et U, le voile du palais se rétractant un peu, en même temps, vers l’arrière et vers le haut, comme chez les chanteurs.

…indépendant de l’embouchure

L’embouchure doit se former sans pincer l'anche : ce que j'essaie d'inculquer à mes élèves, quelle que soit leur langue d’origine (car ça a parfois une certaine incidence sur le son) c'est de bien positionner les lèvres, en pensant à la voyelle U.

Les fosses nasales ouvertes

Il est important que les fosses nasales[2] soient un peu ouvertes, encore plus dans le pianissimo. Notamment pour le légato, et dans le cas de certains intervalles difficiles. C’est comme si on allait faire un glissando, les fosses nasales ouvertes, comme si on allait faire "AHHAA", la bouche fermée, pour augmenter encore la souplesse. Mais tout ça sans exagérer, c’est de toute façon toujours l’oreille qui gère.

La morphologie individuelle

HM : Après tous les facteurs variables à contrôler, comme toutes les facettes de l'embouchure, les positions complexes de la langue, l’indépendance de l’embouchure et de la cavité buccale, puis l'angle instrument/corps et les cavités sonores, les résultats sonores diffèrent-ils aussi selon la morphologie individuelle ?

FR : Absolument. Suivant la longueur des dents, l'inclinaison du menton, ce sera plus ou moins naturel. Il y a des gens qui vont emboucher la clarinette de façon très naturelle. Jacques Lancelot, par exemple, qui avait un menton en « galoche », comme il disait : il posait la clarinette et c'était prêt, il ne faisait rien du tout : il avait la position. D'autres ont des lèvres beaucoup plus épaisses, le menton fuyant, et vont devoir faire l'effort d'un tout petit peu tendre pour avoir un coussin un peu plus tonique. Et encore cela dépend du tissu musculaire.



La respiration

HM : Comment enseigner à créer la pression d’air nécessaire pour la production du son.

La colonne d’air : une pression qui doit être efficace

FR : Parfois il y a des élèves avancés, en niveau Master, qui n’ont peut-être pas de vraies lacunes, mais qui sont un peu maladroits. Ils gèrent mal certains problèmes. Pourquoi ? Parce que la colonne d'air est mal conçue, mal comprise. Ce qui entraîne une mobilisation musculaire beaucoup trop forte et des crispations. Ce sont souvent des élèves à qui on a dit que le ventre doit être dur, qu'il faut pousser avec l’abdomen, ce qui n'est pas tout à fait faux, mais il y a une trop forte mobilisation qui génère une crispation musculaire : on fait beaucoup d'efforts pour peu de résultats. Donc on va appuyer fortement, en surpression, mais finalement il y a peu de pression effective et efficace qui se donne, car le diaphragme est bloqué.

La gestion d’air

Il y a peut-être encore une chose dont on parle peu : c'est la gestion de l'air. Beaucoup d'élèves me disent : j'aimerais pouvoir respirer ici parce que la phrase est trop longue… C'est qu’ils laissent passer trop d'air au travers du bec, ils se vident inutilement, alors qu'il faut seulement que l'anche vibre, sans gaspillage d’air, c’est tout.

Faire travailler le diaphragme en souplesse

J'essaie d'expliquer que le travail du diaphragme doit se faire en souplesse, sans être bloqué par d'autres muscles : il est simplement aidé par le muscle « transverse » de l’abdomen, attaché à la colonne et aux côtes, qui va aider le diaphragme à monter. Il est important de ne pas crisper l'abdomen, il faut simplement appuyer, mais pas trop, en focalisant la pression, pour simplifier, au niveau du plexus. Disons qu’il faut plutôt « laisser échapper l'air » que de vouloir bourrer, comme avec une pompe à vélo. Je passe beaucoup de temps là-dessus avec les élèves. Il n’est pas toujours facile d’expliquer le travail du diaphragme, muscle qui n’est pas innervé. Souvent les élèves ne savent pas exactement où il est : ils croient qu'il est très bas, alors qu’il est au contraire assez haut, au niveau du sternum. Ce que j'essaie de leur faire comprendre, c'est qu'il ne faut presque rien faire. Si le diaphragme travaille bien, il monte et descend en souplesse, mais sans jamais se bloquer : c'est en voulant « faire » avec différents muscles qu'on le bloque. Le problème, c'est qu'on a une trentaine de muscles qui permettent d'ouvrir la cage thoracique et il faut essayer de simplifier, de travailler le plus possible avec ce diaphragme, qui doit monter et descendre en souplesse, mais sans jamais se bloquer. Comme il n'est pas innervé, il est difficile de le sentir, de dire : "il est là," c'est un peu compliqué… Le plus simple est de penser à appuyer au niveau du plexus, sans rien bloquer.

La conception du souffle : c’est chanter

Cela étant, il y a la conception du souffle. On va souffler comme si on chantait : Cela va donner un son plus libre et plus musical. Avec aussi une projection qui sera meilleure : essayer de chanter, mais sans prononcer la note, c'est « AH », ou « OH », plutôt que « pfff », c'est la base. La différence avec le chant, c'est qu’au lieu de la glotte qui travaille, ce sont les lèvres qui entourent le bec et qui règlent la sortie de l'air. Mais grosso modo, le principe est très proche du chant. En résumé, il faut laisser monter le chant intérieur qui vibre en nous.

La pression d'air en équilibre avec l’embouchure

Après on va donner plus ou moins de pression d'air, ce sera toujours un équilibre entre la pression qu'on donne et la vitesse d’air à la sortie, au niveau de l’embouchure. Plus de poussée du diaphragme et de pression d'air dans un ff, avec plus de passage d’air à la sortie, moins de pression et moins de passage d’air dans un pp. Les lèvres participent à l’équilibre entre la pression du diaphragme et la sortie de l’air. On joue ainsi sur le volume du son et sa couleur, en modulant, en quelque sorte, l’équilibre entre la pression et l’embouchure.

Enseigner le soutien d’air avec des images

HM : Est-ce que tu fais des exercices sans instrument pour obtenir un souffle idéal qui soutient bien la colonne d’air, ou travailles-tu plutôt avec des images ?

FR : Je prends très souvent l'exemple d'un plateau avec des verres : imaginons un garçon de café portant un plateau avec des coupes de champagne. Il va se promener dans la salle en tenant son plateau. Je leur dis : les bras représentent le diaphragme, qui soutient le plateau, devant être tenu en équilibre. Il ne faut pas que les bras soient raides et crispés, et il ne faut pas non plus lâcher le plateau à cause de bras trop faibles et trop relâchés. Ceci pour expliquer qu’il faut une certaine pression d'air, mais pas trop, et que la colonne d’air doit avoir une certaine souplesse. Le serveur doit pouvoir monter un escalier ou enjamber quelque chose sans tomber, donc il faut que la pression d'air, actionnée par le diaphragme, soit évolutive : Ce n'est pas quelque chose de « dogmatique », mais dans le courant d'une phrase musicale, il y a des moments (cela va dépendre de la dynamique) où la pression évolue, en devenant un petit peu plus forte ou moins forte. Cette pression constante travaille avec des fluctuations, des ondulations, qui dépendent de la dynamique et aussi un peu de la tessiture (plus de pression dans le grave que dans l’aigu).

Moins de pression d’air pour l’aigu, plus de pression pour les sons graves

(Voire aussi: François Benda)
Il faut savoir que plus on monte dans l’aigu, moins il y a de vitesse d'air à la sortie, et plus la pression est faible au niveau de la bouche. Il suffit de tester : en jouant un f dans le grave, on s’aperçoit qu’il faut davantage de pression et de vitesse d’air que pour un f dans l’aigu. L'air qui est dans la bouche juste avant la sortie est beaucoup moins comprimé dans les sons suraigus. Comme il faut plus de pression pour remplir un son grave, l'air va un peu plus vite, en revanche pour le suraigu, comme il y a un peu moins de pression, l'air ira moins vite. Mais il est important qu'il y ait toujours assez de soutien, même dans un pp. Simplement, dans le cas d’un son pp, on va tenir l'embouchure pour qu'elle ne dégage pas trop de son, donc une tenue un peu plus fermée. Après, c’est de nouveau un équilibre, pour avoir une belle sonorité, entre la pression qu'on donne et ce qu'on laisse sortir au niveau des lèvres. Il faut donc s’écouter et je reviens à ce que j'ai déjà dit : c'est toujours l'oreille qui va guider. Il faut toujours passer par l'oreille. On ne peut pas bien jouer sans s’écouter. Le son sera ainsi musical et évolutif.



Modifier le souffle selon l’expression musicale

Suivant le contexte, le musicien accompli va « ressentir » sa colonne d'air un peu différemment. Mon souffle ne sera pas exactement le même si je joue une phrase mélodique, un peu aérienne, que dans un passage technique et robuste. Dans le premier cas, je vais ressentir le son plus « haut », au niveau de la poitrine, dans le deuxième cas plus « bas », au niveau de l’abdomen, mais toujours avec le soutien du diaphragme, aidé par le muscle transverse. HM : Pour quelque chose d'héroïque comme Weber, au début du deuxième concerto ?

FR : Par exemple pour Weber, je vais donner une colonne plus athlétique, avec un peu l’impression que le son résonne en bas. Je vais plus le sentir dans le ventre que si je fais une phrase légère, aérienne. Mais j’insiste encore une fois là dessus : il faut veiller à ne pas BLOQUER (c’est pour moi le mot clé) le diaphragme. HM : C'est-à-dire : ne pas trop mobiliser de muscles du ventre ? FR : C'est ça : plus le diaphragme travaille bien, de haut en bas, plus il se développe, gagne en force, et donc on a moins besoin de « pousser ».

L’embouchure

HM: Qu’est-ce qui est essentiel dans la formation de l’embouchure ?

Tenir le bec avec « le masque »

FR: Cela dépend de la force de l'anche, de comment on gère l’émission ; évidemment on va placer l'embouchure de façon adéquate et efficace. Ce n'est pas très original, ce que je dis là, mais c'est important de le rappeler aux élèves : on a une dizaine de muscles qui concourent à former ce qu'on appelle le « masque », et il faut que ces muscles s’organisent pour tenir en place autour du bec, de façon stable, mais sans serrer le bec.

…sans mordre

Il faut éviter que la mâchoire presse sur le bec. C'est très important, j'insiste beaucoup là-dessus, le bec doit simplement être « entouré » de muscles, et je prends souvent l'exemple du fait de toucher la main à un élève, ceci de 3 façons : d'abord, je serre beaucoup trop, parce que c'est la mauvaise position, ensuite, je prends normalement, sans relâcher, et la troisième prise est molle et complètement relâchée : la position optimale demande un peu de tonicité, mais sans serrer.

L’implication de la lèvre supérieure

Le rôle de la lèvre supérieure n’est pas sans importance. On n’en parle presque jamais, mais si elle est trop relâchée, le son est moins riche. La lèvre supérieure un tout petit peu tonique nettoie le son, lui donne plus d’harmoniques et de résonnance, donc j'insiste aussi auprès des élèves sur l’utilité d’avoir une lèvre supérieure pas trop relâchée, qui va ainsi contribuer à bien entourer le bec. Le fait de monter un peu les pommettes et de lever les sourcils a aussi une incidence sur le son, qui sera ainsi plus souple et plus ouvert.

EXERCICE formation de l'embouchure

HM : Si quelqu'un ne sait pas du tout utiliser la lèvre supérieure en formant l’embouchure, tu fais des exercices ?

FR : Je parle du lapin qui mange une carotte : c'est tout bête comme exemple, ou d’un dromadaire : il faut que la lèvre supérieure contribue à former le son. Et cela évite du coup que la lèvre inférieure ne serre trop…

HM : Une vieille méthode utilise l’expression « envelopper le bec ».

FR : Oui, je dis qu’il faut plutôt entourer le bec que le saisir. On ne va pas aller le chercher : on le laisse venir vers soi et on l'entoure.



L’indépendance entre la vocalisation et la forme des lèvres

HM : Quel voyelles formes-tu pour une bonne production de son ?

FR : En principe plutôt « AH » pour la gorge, ou « Ô » (mais cela fait monter un peu le son), et au niveau des lèvres, on peut penser à la voyelle « U ».

La ligne d’embouchure bien placée

HM : Où est la ligne idéale de l'embouchure sur l'anche ?

FR : Ce qui est important c'est de laisser dépasser assez d'anche au-dessus de la lèvre inférieure. Il faut que l'anche puisse vibrer le plus librement possible. Si on a quelques millimètres, ce n'est pas suffisant, si on enfonce trop le bec, on a moins de contrôle. C’est difficile à dire exactement. Je dirais au moins 1 cm. Après, il y a la question de l’emplacement des incisives…

L’angle entre l’instrument et le corps

A une certaine époque, on jouait avec une position de bec très verticale. Pour moi, ce n’est pas idéal. Ce que je préconise, c'est de relever un petit peu la clarinette et d’aller un peu plus loin sur le bec avec les incisives supérieures. Le son gagne ainsi en liberté et en largeur. Mais sans exagérer, bien sûr.

HM : En levant la clarinette pour ouvrir l’angle, l’ouverture de la bouche diminue un peu, ainsi que la surface de l’anche qui peut vibrer.

FR : Oui, donc il ne faut pas trop relever, il faut simplement chercher l’angle qui va produire le son le plus large et le plus libre. La projection en sera aussi améliorée. Et cela dépend bien sûr de la morphologie personnelle.



Legato

HM : Quels paramètres de la technique sont à combiner pour obtenir un légato lisse et expressif ? Est-ce ça demande un travail spécial des doigts ou plutôt une bonne conduite d’air en équilibre avec l’embouchure ?

L’oreille attentive

FR : Je dirais que quand on travaille le legato, c'est l'homogénéité du son qui prime; quand on fait des gammes, il faut que chaque son ressemble à celui qui l’a précédé. Donc il faut surtout s'écouter, et le legato n’en sera que meilleur. La pression d’air et l’embouchure doivent bien sûr être stables.

La disponibilité de l’embouchure…

Pour un legatissimo, un legato très fondu, il faut une « disponibilité » maximum de l'embouchure, il faut que la bouche et les fosses nasales soient assez ouvertes, le voile du palais et la langue légèrement rétractés, pour que les sons s'enchaînent en souplesse.

…en combinaison avec la résonnance des fosses nasales

Grosso modo, tirer le voile du palais un peu en arrière et vers le haut (démonstration sonore), le « soulever ». Cela va aider pour le legato. En ouvrant les fosses nasales, on va souffler un peu comme si le son allait aussi sortir par le nez. Mais sans le faire. On aura une meilleure « caisse de résonance » et une meilleure souplesse si la bouche et les fosses nasales sont suffisamment ouvertes. Le legato sera bien meilleur, surtout dans les passages très doux. Notons que le fait de lever un peu les sourcils et les pommettes aide à relever le voile du palais.

Staccato

HM : Est-ce que tu fais des études spéciales pour le jeu du staccato ?

L'articulation ne doit pas changer le son

FR : Je fais souvent des exercices avec un passage legato et un passage détaché : cela doit sonner pareil. L'articulation ne doit pas changer le son. Il y a tellement d’exemples dans le répertoire, par exemple dans les sonates de Brahms. Il faut apprendre à articuler sans que la qualité du son change.

La position de la langue, la façon d’articuler

HM : Peux-tu décrire la position de la langue quand elle touche l’anche ? Ainsi si elle forme un O, la pointe de la langue est-elle toujours proche de la pointe de l'anche ?

FR : Oui. Le paradoxe, c'est qu'il faut baîller, il faut que la langue se rétracte, ce qui va donner de la largeur et de la souplesse au son, une ouverture et une projection aussi, qui vont concourir à une meilleure liberté d'émission. Il faut que la pointe de la langue vienne en avant, pour travailler sur la pointe de l'anche, et qu’au contraire la base de la langue soit un peu rétractée. Il faut trouver l'équilibre, le positionnement adéquat, pour faire les deux choses en même temps.

HM : Je crois que c'est possible en tirant la langue en longueur. La partie arrière est fixée un peu plus bas, la partie avant se lève un peu vers la pointe de l’anche.

FR : Il y a des gens qui ont une langue très longue, d'autres très courte et détachent aussi très bien. Je ne sais pas si cela dépend de la longueur de la langue. Cela va dépendre surtout de l’instrumentiste : il faut trouver le meilleur confort, peut-être la tirer un peu plus si elle est courte, ou la rétracter. Je dirais que c’est personnel, plutôt que de dire : il faut faire comme ça ! Je dirais : il faut attaquer haut et bailler. A partir de là, on trouve sa position.

Où toucher l’anche ?

Variations dans la qualité d'articulation

Le mieux est que l'attaque se donne le plus haut possible sur l'anche.

HM : Je fais pareil.

FR : Si on veut un staccato très net, avec des notes très courtes, il faut attaquer tout en haut, c'est là que la vibration de l’anche se bloque le plus instantanément par la langue. Si on détache plus bas, c'est moins net.



La langue un peu plus basse pour le staccato rapide

En revanche, pour détacher très vite, c'est un peu plus facile si on descend un peu. C'est au clarinettiste de sentir...Moi je détache toujours tout en haut. En résumé, il ne faut pas descendre trop bas, sinon c’est moins net.

Mouvement minimal de la langue

Il est important de rester tout près de l'anche avec la pointe de la langue. Il faut que la langue soit à 1 ou 2 mm de l'anche pour un détaché rapide.

L’air “soutient” le staccato

HM : Tu veux dire que c’est dans cette position, la pointe touchant l’anche, qu’on développe le staccato rapide ?

FR : C'est ce qui va permettre de détacher très vite. On va faire un détaché « dans le souffle ». C'est à dire que le souffle va aider la langue à travailler. Au lieu de faire ta ta ta ta, la langue va plutôt rebondir sur l’anche (sons très rapides émis). C’est un peu comme un « Flatterzunge » ralenti : c'est la base pour des passages très rapides ; maintenant, si on veut jouer plus lentement et très prononcé, on va toucher davantage, en donnant plus de poids avec la langue.

Travailler le staccato : jouer forte et très court

Ce que je préconise pour les élèves, c'est bien sûr de travailler avec la langue à l’extrémité de l’anche quand on a des passages très staccato, d'exagérer le détaché...de jouer staccatissimo, pour qu'il reste après un minimum de clarté dans le tempo normal. Donc plutôt staccatissimo pour le travail, et dans la nuance forte, simplement sur la gamme chromatique, par exemple, en stoppant le son avec la pointe de la langue juste après l’émission. Donc la langue doit être très nerveuse et très réactive.

Il faut que la langue soit tonique

HM : J'ai une étudiante qui a un staccato très rapide, elle joue les doubles croches au tempo 152. Mais à 120, elle n'y arrivait pas. On a travaillé un staccato très sec, et après c'était mieux contrôlé. Dans le cas contraire, on doit trouver des solutions pour arriver d’un staccato trop lent à un staccato rapide.

FR : J'ai eu aussi un élève Français qui avait une bonne technique, de la facilité, mais un détaché beaucoup trop lent. Je n'ai pas de recette miracle, mais je pense que ça vient beaucoup de la résistance de la langue : il faut que la langue soit tonique pour pouvoir travailler sur une très courte distance. J’ai fait travailler cet élève en exagérant l'attaque, dans des études de staccato, etc., pour muscler la langue, comme au « body building ». Ça a marché. Et puis après, comme je l’ai déjà dit, il faut comprendre que plus on détache vite, moins il faut mettre de poids sur l'anche. Il faut veiller en outre à la colonne d'air, afin qu'il y ait un équilibre entre la façon de toucher et une pression d'air efficace et confortable, sans trop de pression, comme si on allait jouer un legato. Là où les étudiants sont souvent maladroits, c'est en prononciation, en articulation. Bien souvent ils articulent mal, n'attaquent pas assez proprement parce qu'ils n'osent pas, parce qu'ils pensent que cela va détériorer le son. On a vu que l'articulation ne doit pas changer le son si la technique d’attaque est aboutie.

La souplesse des doigts

HM: Peux-tu nous donner quelques idées pour la technique des mains ?

Important pour tout le monde : utiliser la dernière phalange du doigt

FR: Je pense à une chose importante dont on parle très peu, une technique qui privilégie l’action de la dernière phalange pour jouer de la clarinette. On va travailler en musclant le « fléchisseur profond ». C’est, paraît-il, le nom du tendon qui actionne la dernière phalange. C’est ça qu’il faut travailler. Le fléchisseur « commun », lui, actionne tous les doigts en même temps. Il ne faut pas le travailler. C'est l'ennemi du musicien. Ce qu'il faut travailler, c'est la pointe de chaque doigt, individuellement, en oubliant les autres articulations. Il arrive que certains élèves aient la dernière phalange trop lâche, qui se courbe vers le haut. Ce n’est pas idéal, malheureusement. Je pense que le mieux est qu’ils se concentrent également sur la pointe du doigt.

EXERCICE trilles mesurés

Ce qui est utile et que je préconise souvent comme exercice, ce sont les trilles « mesurés », c'est à dire des batteries de quatre notes, par exemple, en descendant le doigt en batteries mesurées, en pensant uniquement à la descente du doigt : c'est primordial de se concentrer sur la descente du doigt, jamais sur la levée. Lever ne pose aucun problème, les « extenseurs » font lever les doigts très facilement, sans effort. Ce qui est important, c'est de descendre. Et lorsqu’on monte une gamme, il faudrait penser plutôt de « descendre » les doigts sur les positions.

HM: Si tu montres avec les deux mains, tu fais des études pour muscler sans instrument ?

FR: Plutôt en jouant. Bien sûr on peut montrer sans jouer. Je pratique beaucoup les trilles, comme j'ai dit tout à l'heure, avec des batteries mesurées : tatatata titititi, et mine de rien, cela va beaucoup renforcer la musculature. La technique devient plus précise, le rendu plus cristallin, particulièrement dans les traits rapides. Tandis que si on travaille avec une autre technique, c'est à dire une fermeture des doigts qui est moins précise, moins directe, avec plusieurs articulations qui bougent en même temps, le rendu est moins propre, moins précis.



Le travail des doigts ressemble à celui de la langue

HM: En fait, cela ressemble un peu au travail de la langue

FR: Cela ressemble beaucoup au travail de la langue. Comme dans le cas de la langue qui travaille avec la pointe, c'est la dernière phalange des doigts (la pointe) qui travaille vers le bas, sur les clés ou les anneaux de la tablature.

La forme de la main

HM: Comment peut-on décrire la forme de la main ? Il me semble important que les doigts soient plutôt arrondis…

FR : Oui, plutôt arrondis, comme autour d’une balle de tennis, par exemple. Maintenant je ne dis pas qu'il est interdit de lever les doigts, l’important est de se concentrer sur la descente, la fermeture, dans un mouvement rapide et précis, comme un déclic, et sans serrer l’instrument avec les doigts. En fait, si on travaille bien la musculation de la pointe du doigt, on reste naturellement assez près de la tablature.

HM: Quel position du pouce doit on choisir ?

La position du support de pouce

FR: Ce qu'on pourrait conseiller, c'est de placer les doigts de la main droite sur la tablature, et à partir de là, de positionner le pouce sur le support. Le problème est de trouver une hauteur de support favorable. Maintenant, sur la plupart des clarinettes, on peut le régler, il y a même des accessoires sophistiqués qui remplacent le support.

HM: Tu fais monter le support du pouce ?

FR: Personnellement, je le règle assez haut. C'est au musicien de juger, en fonction de sa morphologie et de son confort personnel. De toute façon cette position de la main droite sur une clarinette reste très peu naturelle, anatomiquement parlant.

Jeu du legato

Les doigts : souples

HM : Est-ce le mouvement des doigts diffère entre un jeu legato et un jeu virtuose, brillant ?

FR : Si on veut jouer bien legato, dans un adagio, par exemple, on évitera bien sûr de taper avec les doigts, il faut que les descentes soient souples, assez directes mais sans trop de force. C'est surtout dans les passages lents que c'est délicat. Si on joue un legato dans les passages plus rapides, comme dans le final du Mozart, la façon de descendre est moins décisive. Mais c’est aussi beaucoup le souffle et l’embouchure, comme je l’ai déjà dit, qui contribuent à un bon legato. De toute façon, si on s'habitue à travailler avec la pointe du doigt, le legato devient plus naturel, tout s'arrange.



L’embouchure, la gorge et l’air : disponibles

HM : Quand il y a un legato avec un changement de registre, je crois qu’il faut accompagner l’intervalle en chantant intérieurement. FR : Cela aide beaucoup, et ce qui aide aussi énormément pour le changement de registre, donc pour la justesse des intervalles, c'est d'avoir la gorge ouverte et une embouchure « disponible ». J'utilise beaucoup ce terme avec les élèves : il ne faut pas « faire », il faut que l’intervalle devienne possible par la disponibilité de l’embouchure. La note se place ainsi naturellement. Si on est bien positionné, l'intervalle sera beaucoup plus juste que si on crispe, si on serre le souffle, si on bloque des muscles respiratoires; il suffit de jouer des intervalles de douzièmes, par exemple : si on est crispé et qu'on a une colonne d'air trop raide, l'intervalle est obligatoirement trop petit, il est faux parce que trop court. Donc il faut être ouvert au niveau de la gorge et des fosses nasales, le voile du palais un peu relevé, comme si on chantait la bouche fermée.

La tenue générale

« Laisser venir l’instrument »

Il faut éviter de saisir la clarinette, mais plutôt laisser venir l'instrument, au lieu d'aller le chercher. J'ai pratiqué personnellement d’assez nombreuses séances de technique Alexander. C'est une bonne approche pour la clarinette, pour la façon de se positionner, d'utiliser son corps. Rappelons que c'est la colonne vertébrale, en définitive, qui soutient l’instrument. Il est également très utile de développer le sentiment d'avoir de l'espace partout autour de soi. En résumé, ne faut rien « faire » musculairement, mais simplement penser qu'on a de la place et que toutes les articulations du corps doivent être souples. Les jambes, les poignets, les bras, tout doit être souple, même si on est un peu tendu, il est impératif de rester souple. En concert (quand on a un peu le trac) il est particulièrement important de garder les poignets souples.

Observer la colonne vertébrale

Dans beaucoup de cas, il faut surveiller la position des élèves, qui cambrent parfois trop le bas du dos en penchant le buste en arrière. Il y a souvent des problèmes avec la lordose lombaire (creux du bas du dos), et aussi avec la colonne cervicale. Il faut aussi veiller à ce que les articulations des genoux et des hanches restent souples.

L’intonation

HM : Si on est un peu trop haut ou trop bas, on peut régler avec la position de la langue, la pression de l'embouchure, mais je crois que ça se fait aussi avec la position de la gorge.

FR: Il faut surtout apprendre à écouter. Et ensuite l’embouchure réagit par rapport à ce que l’on entend. L’embouchure est primordiale et se combine avec le souffle : une bonne sonorité, ronde et centrée, va contribuer à une bonne intonation. Et une bonne articulation va de pair avec une bonne sonorité !

Pression sur l’embouchure et pression sur l’air adéquates

Si on est bien positionné, avec des ouvertures suffisantes et une bonne disponibilité d'embouchure, une pression d’air adéquate, l'intonation est naturellement plus facile. Après, il faut régler la clarinette en tirant le barillet, et aussi le milieu de l’instrument. Mais c'est clair que cela ne suffit pas. Il faut jouer en s’écoutant, avec une disponibilité et une stabilité d’embouchure adéquates.

Mâchoire stable - gorge, voyelle et glotte flexibles

HM : Il faut bouger le moins possible la mâchoire. Le premier choix sera sûrement la modification de la gorge et des voyelles.

FR : Oui, il faut éviter de bouger la mâchoire. Si on doit le faire, c'est qu'il y a un problème de positionnement de la bouche, de la gorge. Il est important que l’assise du bec soit très stable.

HM : Il y a des gens qui travaillent aussi la position de la glotte pour l'intonation.

FR : Oui, Il faut une mobilité, ou disons plutôt une « disponibilité » au niveau de la glotte. Elle doit pouvoir bouger et rester souple. En revanche, une chose à ne surtout pas faire est d'accompagner le son avec la glotte, comme si on voulait jouer « hahaha » au lieu de souffler simplement.



Apprendre un texte nouveau

HM : Comment travailler des traits difficiles ? Dans la musique contemporaine on trouve peu de points de référence comme des gammes, des accords. C’est sûr qu’il faut commencer lentement, avec des petits groupes aussi. Travailles-tu aussi avec des rythmes modifiés ?

FR : Oui, on peut faire avec des groupes, on peut reprendre, il y a beaucoup de figures, toutes sortes de méthodes. Il y a une chose que je n'aime pas, c'est changer les rythmes. Quand on travaille des gammes, oui, mais quand on travaille un trait difficile, je ne pense pas que changer le rythme soit une bonne méthode parce qu’on perturbe l'influx nerveux, qui n'est plus le même que si l’on joue le texte comme il est écrit.

EXERCICE pour améliorer la coordination

Au lieu de changer le rythme avec des valeurs pointées, par exemple, je vais faire plutôt l’exercice suivant : c'est tout bête, on le trouve dans les anciennes méthodes, Klosé, Gay etc. On prend trois notes et on fait la figure suivante : d’abord un aller-retour, trois ou quatre fois, : 1-2-3-2 / 1-2-3-2, etc., et puis après : 1-3-2-3 / 1-3-2-3, etc. Si on divise le texte en triades, si on le décortique de cette façon, cela assouplit énormément les doigts et on est beaucoup plus précis, on a une bien meilleure coordination. Cette formule est toute simple et vraiment efficace.



École française de clarinette

HM: Est-ce qu’on peut aujourd'hui encore parler d’une « l'école française de clarinette » ? On peut aujourd'hui jouer une clarinette avec système Boehm avec une sonorité quasi allemande.

FR : Oui, tout à fait : il y a tellement de moyens d'écouter de la musique aujourd’hui avec internet qu’il est difficile d’identifier une « école ». Tout se mélange, par influence réciproque… Ce qui caractérise ce qui reste de l’école dite « française », c'est une souplesse et une facilité de jeu, une liberté d'émission, une articulation très légère, mais précise. Et puis une qualité de phrasé, une élégance de jeu. Ces aspects restent très présents dans l'enseignement « à la Française ». L'école française m’a marqué parce que j'ai eu un premier professeur qui avait été élève de Léon Hoogstoel. C’était un clarinettiste qui était soliste à l'Orchestre de la Suisse Romande, du temps de Ernest Ansermet. Il était un des représentant typiques de l'école française. Après, j'ai eu Robert Kemblinsky [3], un ami de Jacques Lancelot[4], qui avait aussi été formé à Paris. J’ai également pris des cours avec Lancelot, notamment, et j'ai été imprégné bien sûr par cette façon de jouer de la clarinette. C'est aussi synonyme de beaucoup de travail technique, d’études, de gammes, etc., choses très importantes, bien sûr.

HM : Je crois que cela a à voir avec le langage

FR : Certainement : la langue (le français, l’anglais, etc.), par sa prononciation, a une certaine incidence sur le son. Un Anglais n'aura en principe pas naturellement le même son de base qu'un Français, pas la même couleur, ces deux langues se prononçant différemment. Mais encore une fois, les différences s’estompent avec la profusion d’enregistrements que l’on peut écouter, des possibilités d’Internet, etc. Et je trouve que globalement, la clarinette classique sonne mieux maintenant qu’il y a une quarantaine ou une cinquantaine d’années.

HM : Tu as pris des leçons avec Lancelot. Qu’est-ce qui t'est resté ?

FR : Je dirais le phrasé, surtout, en particulier la façon de porter les phrases, par exemple de bien reprendre une articulation dans une phrase pour renforcer l'expression musicale, de donner une direction à la musique. Et puis aussi une liberté d'émission, une façon naturelle de faire chanter l’instrument, comme une voix. Je dis souvent à mes élèves : le son doit être ta voix, pas seulement le son d'une clarinette. Cela donne une plus grande présence musicale. Pour s'en convaincre, il faut jouer le trio de Schubert[5] avec soprano, par exemple. Il faut que la clarinette soit aussi intéressante que le chant, qu’elle soit comme un deuxième chanteur.

HM : Ce qu'écrit déjà Frédéric Berr[6] dans sa méthode de clarinette: il nous recommande de suivre les méthodes de chant.

FR : Oui, et c'était un aspect important de la « vieille École Française » cette façon de chanter, malgré le fait qu’on était très axé sur la technique. Ce qui m'a particulièrement frappé quand j'étais étudiant, c’est une émission à la radio consacrée à Hoogstoel, avec des enregistrements radio qu’il avait fait à Genève. Ils ont passé, entre autres, la Sonate de Saint-Saëns, et ce qui m'a frappé tout de suite, c'est ce côté « vocal » du son. J’ai compris aussi, en l’écoutant, qu'il rétractait la langue en jouant. Il avait un son très libre, mais rond et centré. A l’époque, il était un pédagogue réputé, qui insistait beaucoup sur la colonne d'air. Il était un des premiers à avoir expliqué qu'il ne fallait pas crisper l’appareil respiratoire, ne pas serrer inutilement l'embouchure. Antony Morf, qui avait été son élève, a également beaucoup insisté là-dessus dans son enseignement. Il préconisait un souffle confortable et naturel, sans surcompression inutile. Une façon de « laisser échapper l'air », simplement.

HM : Je constate qu’aujourd’hui la mode a changé ; il y a beaucoup de clarinettistes qui jouent avec beaucoup de force.

FR : J'ai vu beaucoup d'élèves jouer de façon trop « athlétique ». Quatre fois trop de pression, avec finalement une projection de son assez médiocre. Cette façon de faire ne donne pas un son très vocal.

Références

  1. Hyacinthe Klosé. Méthode pour servir à l'enseignement de la clarinette à anneaux mobiles et de celles à 13 clés. Paris, 1843 Klosé
  2. Lesley Findlay. Technique vocale [1]
  3. Documentation Radio Télévision Suisse [2]
  4. Anonymus: Hommage à Jacques Lancelot [3]
  5. Franz Schubert. Der Hirt auf dem Felsen [4]
  6. Frédéric Berr. Traité, Paris 1836, p.3 [5]