Michel Arrignon
L'interview avec Michel Arrignon a eu lieu le 4 mai 2018 à Mantes-la-Jolie et a été rédigé par Heinrich Mätzener.
« L’école française de clarinette » - à la recherche du canon didactique
HM : L’école française de clarinette excelle dans sa virtuosité, la légèreté technique des doigts, les l’articulations claires et parlantes. Est-ce que dans l’école française c’est commun de faire dans chaque leçon d’bord un parcours technique, et après de passer à l’interprétation ? Ou est- ce que vous pensez qu’aujourd’hui c’est mieux de travailler la littérature d’abord et on apprendre la technique selon les besoins ?
Le travail technique est lié à l’interprétation
MA : Je pense que la technique est tellement liée à l’interprétation, qu’il faut faire tout ça en même temps.
Par exemple, dans un trait rapide un peu difficile, on s’aperçoit que si on lui donne déjà un sens musical, ça va aider techniquement, c’est donc indispensable que le sens musical soit toujours la préoccupation principale, et ce même à un tempo plus lent.
Parfoit les étudiants sont anxieux, même quand ils ont travaillé, il peut avoir un manque de contrôle, une certaine fébrilité ; vous connaissez ce problème, évidemment ! Il peut être utile de leur dire : « regarde, si tu devais chanter ce passage-là, tu ne le chanterais pas comme ça ! »
En résumé, je pense que le travail technique, naturellement, est nécessaire ! Mais c’est plus facile si on l’abord tout de suite en pesant au résultat musical !
Travailler la technique musicalement
HM : Quand-même, les gammes, les intervalles c’est indispensable de les travailler.
MA : Ah ! mais ça aussi, bien sûr !
Je me souviens, quand j’étais professeur à l’École de Musique d’Orléans, il y a bien longtemps, j’avais des petits élèves, et je leur faisais travailler les gammes, les exercices. Je sais que ça fait un peu vieux jeu de dire ça, mais c’est quand même nécessaire.
Ce qui est très important c’est la façon dont on le fait !
Si on joue do ré́ mi fa sol la si do en s’appliquant à en faire une belle phrase, c’est autre chose que de jouer do ré mi fa sol la si do en regardant une vidéo. Vous voyez ce que je veux dire !
Dès qu’on joue une note, c’est de la musique!
Contourner les termes techniques avec des images
HM : Si on pense la hauteur de la note qu’on va jouer, si l’oreille intérieur accompagne la mélodie, j’observe une certaine activité dans l’appareil vocal qui me rend plus sûr dans l’attaque de la note. Croyez-vous qu’il faille en parler aux étudiants, et essayer d’expliquer ce phénomène du point de vue anatomique ?
MA : Vous et moi nous le savons mais de là à le dire aux étudiants...
On va utiliser une périphrase, si vous voulez, on va contourner la chose pour qu’ils comprennent que cela va mieux quand on fait comme ça.
Comme on disait tout à l’heure, à propos de la prononciation des voyelles, la langue ici « ch..ch..ch » il y a aussi ça ici « oooiiiooo », parce que ça aussi, ça influe la facilité du jeu. On peut parler de ça, parce-que finalement c’est du concret.
Je suis très pragmatique dans ma façon d’enseigner, parce que quand je suis entré au Conservatoire de Paris j’étais très en dessous du niveau technique de mes camarades de classe de l’époque, c’était en 1964. J’avais des qualités qui faisaient que j’avais été remarqué parce que c’était agréable de m’écouter, mais moi je savais très bien que, par exemple, je ne savais pas détacher, je n’arrivais pas à aller aussi vite que les
autres. Cela m’a amené́ à faire un gros travail de compréhension de la technique corporelle au sens large. Grace à ce travail, je suis capable de l’expliquer mais je ne veux en parler que par images !
J’entendais l’autre jour une réflexion que j’ai trouvée remarquable de la part de Emmanuel Krivine qui est le chef d’Orchestre de l’orchestre National. Il disait : « Quand je vois une peinture, une peinture des plus grands maitres, je n’ai pas envie de savoir comment elle a été́ faite. » Je trouve ça plein de bon sens, en effet ce qui compte c’est le ressenti ! Alors quand on est professeur, il faut savoir se dire: « je ne serais pas capable d’exprimer avec des mots compréhensibles par tous, ce que je ressens techniquement », donc, comme je vous l’ai dit tout au long de cet entretien, je contourne avec des images, avec des onomatopées, et avec des choses comme cela, que tout le monde peut comprendre.
HM : Mais vous savez très bien ce qui se passe dans votre corps !
MA : Ah oui, je crois très bien le savoir...
HM : C’est déjà̀ très important ce que vous dites, qu’en enseignant, il faut entourer le propre know how technique avec des images..
.
MA : Voilà !
HM : ...en sachant ce qui se passe dans le corps. On joue, on montre les mouvements qui créent l’évènement acoustique.
MA : Par rapport à ce que vous venez de dire, je pense à cet exemple, parce que vous me parliez tout à l’heure de la hauteur du son. Je me suis retrouvé à l’orchestre à jouer Octandre, de Varèse...
HM : A, vous pensez à la partie de la petite clarinette, début du deuxième mouvement (voir aussi Petite clarinette) !...
MA : Oui! Elle est où cette première note jouée à la Mib quand on vient de la Sib ?
HM : Il faut changer : il faut combiner le doigté Re re3 avec l’imagination de la hauteur du son (une grande septième au dessus la flûte), adaptée à la petite clarinette.
MA : Oui ! Si je ne l’ai pas dans la tête, cette note, je ne vais pas pouvoir la jouer. Par exemple, vous avez un élève débutant qui jouer un Ré1 main gauche, vous lui demandez un La2, c’est le même doigté + la clé12 et pourtant ça ne sort pas. Il fait tout bien mais il n’entend pas la note dans sa tête, donc ça ne marche pas !
HM : Je me demande comment ça se passe, je ne peux pas l’expliquer, parce que l’imagination va plus haut que nos cordes vocales peuvent chanter. Et les cordes vocales, c’est quelque chose de physique, comme vous l’avez décrit, pour la vélocité́ de l’air, mais l’imagination pour jouer un sol haut avec la petite clarinette, je ne peux jamais le chanter, et si je ne l’entends pas intérieurement, je ne peux jamais le jouer.
Animer l’imagination
MA : Là on est dans le domaine de l’imaginaire, tout simplement ! Ça rejoint l’imagination d’un peintre, qui pour la première fois invente une couleur ou invente une technique. On peut parler des impressionnistes par exemple, ces gens-là ont tout inventé dans leur imaginaire et ensuite ils ont traduit avec leur technique de peintre ! Parce qu’un sol aigu d’une petite clarinette, c’est d’abord quelque chose de très aigu et comment peut- on trouver cette note là ? Il faut l’imaginer ! Ce n’est pas uniquement technique mais si avec l’octave inférieure on fait la continuité́ dans sa tête on va grandement se faciliter la tâche ! Cela ne vient pas tout de suite, évidemment, mais ça vous le savons tous les deux ! HM : Et c’est aussi difficile, parce que c’est une combinaison de différents facteurs. On sent tout ce qu’il faut pour pouvoir jouer cette note, mais pour savoir, une certaine tenue dans l’embouchure, une certaine position de la langue et de la gorge, les ouvertures d’écrits tout au début…
Connaitre toute théories, mais transmettre le jeu par la gestique
MA : La gestique, c’est une chose importante, notamment avec les petits et aussi avec quelques étudiants qui ne sont pas très à l’aise. On a, de mon point de vue, intérêt à éviter de théoriser la gestique. Il faut laisser parler le corps, ne pas le contraindre : ni introverti, ni extraverti...
HM : Cela peut crisper, oui, c’est le danger. Je me demande souvent, en faisant une formation de professeur pour instruments, comme futur prof, eux ils devraient savoir ce qui se passe dans leurs corps. Mais après, pour montrer aux petits, il faut juste qu’ils les guident en bien les observèrent, sans trop parler d’anatomie etc. Si on arrive à transmettre la technique en jouant, c’est gagné !
MA : Exactement !
HM : Les combinaisons des mouvements sont complexes et on peut très vite se perdre en les décrivant.
Apprendre par l’imitation
MA : Je pense, comme vous venez de le dire, qu’on apprend d’une façon tout à fait naturelle, parce qu’au début on imite. Je me souviens de mon premier professeur, c’était quelqu’un de très simple, il montrait, il disait : « voilà̀, fais pareil ! » C’était un enseignement très succinct, très basique. J’ai compris comment tout cela fonctionnait, mais plus tard. Un professeur, sait comment ça marche, mais il ne va pas l’expliquer comme lui l’a compris beaucoup plus tard. On ne fait pas analyser du Verlaine à quelqu’un qui apprend l’alphabet, ni du Heinrich Heine ! On lui apprend d’abord B.A. BA etc. et à mettre les choses en ordre. Vous comprenez ce que je veux dire ?
HM : Oui ! c’est clair !
Voir aussi : La homogéneité et Conclusion
Respiration
HM : Concernant le travail de technique de base, est-ce que vous croyez qu’il faille travailler, pour faciliter la coordination, de temps en temps sans instrument ? Je pense à l’apprentissage de la respiration ou à la formation de l’embouchure. Ou faut-il toujours la connexion entre la production du son et l’oreille, qui contrôle l’effet de nos mouvements et qui donne la direction des corrections ?
Jouer d’un instrument à vent, c’est comme boire de l’air
MA : Quand on apprend la clarinette à quelqu’un qui n’a jamais joué, un débutant un enfent, déjà il faut lui d’abord lui apprendre à respirer, ce n’est pas évident. Le gamin il respire comme il fait dans la vie, mais c’est un petit peu différent pour un instrument à vent. Je me suis rendu compte, que quand on respirait pour jouer d’un instrument à vent, ce n’était pas ne respiration naturelle ! En fait j’ai l’impression, que j’aspire, j’aspire (fait le mouvement). Ce que j’explique, même à certains grands élèves : « c’est comme si tu buvais de l’air, vous voyez, boire, à travers une paille ». Pour l’expiration (souffle) si on analyse bien ça, on voit que l’air part d’ici (du fond du thorax), il monte, etc. et il ne doit pas avoir de blocage au larynx entre l’aspiration et l’expiration. Ça c’est l apremière chose.
Garder l’ouverture de l’inspiration pendent l’expiration
Que se passe-t-il à la fin de la respiration ? C’est la deuxième chose. Entre la fin de la respiration et le moment où on envoie l’air, très souvent, il y a un blocage : on arrête et on souffle, mais là, quand on arrête, qu’est-ce que qu’on fait ? C’est là qu’il faut comprendre : comment arrête-t-on (fait un arrêt brusque) ? Alors ce que je dis, mais c’est mon opinion et je vous la donne parce que vous me la demandez !
HM : oui, s’il vous plait !
MA : Quand on chante, il y a un blocage ici : les cordes vocales, qui se trouvent dans la glotte, sont un peu tendue. Si l'ouverture de la glotte reste la même en inspirant et en expirant, on entend "HHHH", quasiment rien, normal. Si je commence avec la phonation, "OOOO", les cordes vocales se mettent en vibration.
[1]
HM : Vous parlez d’une tension dans le larynx comme pour chuchoter ou pour chanter.
MA : Exactement. Cela c’est pour mettre les cordes vocales en vibration. Mais quand on joue, ce n’est pas là (dans la glotte) où ça se passe ! Ça se passe ici, au bout du bec, à l' embouchure. Il y a deux blocages : un ici (glotte, pour chanter) et un ici (embouchure/anche, pour jouer). Le blocage, qui nous intéresse est fait par la langue, qui est au contact avec le bout de l’anche.
Donc je vous fais voir : je fais au départ (une inspiration), voilà le blocage (on touche l’anche avec la langue), et maintenant il n’existe plus (on retire la langue) et on obtient le son ! Vous voyez !
HM : Oui, le son ne se produit pas dans le larynx, c’est tout devant, là où l’air entre dans l’instrument : dans le domaine de l’embouchure, du bec qui met l’anche en vibration.
MA : Voilà. De mon point de vue, ce qui est dangereux, s’est de bloquer dans le larynx, car il y a tout ce volume-là à l’intérieure de la bouche, entre la glotte et l’ouverture du bec, où la pression n’est pas la même qu’ici, dans le fond du thorax, pendant un court instant.
HM : Travaillant à l’opéra, j’observe souvent les chanteurs. Je crois que pour le mouvement spécifique de la respiration, la façon de travailler avec le système respiratoire, on travaille de la même façon : on devrait garder en expirant une activité des muscles qui ouvrent les poumons pour régler la pression, c’est à dire que ce n’est pas d’abord la pression de l’embouchure qui règle la pression de l’air, mais c’est le système respiratoire en lui-même qui s’adapte à la résistance de l’embouchure, pour faire vibrer l’anche.
MA : Exactement.
HM : C’est cette technique que vous suivez ?
MA : Oui, absolument, quand je parle de cette respiration et puis après de l’expiration, c’est cela mais je ne veux pas trop expliquer parce que c’est compliqué dans la tête d’un élève.
HM : Est-ce que vous travaillez avec des images, ou est-ce que vous allez sur le plan anatomique ?
MA : J’évite de parler de l’anatomie, parce que ce n’est pas perçu de la même façon par chaque individu. De même, ce qui est très important pour moi, c’est le choix des mots : vous dites un mot à 10 élèves, il n’y en a pas un comprend la même chose ! « Ça c’est bien, ce que tu viens de faire, c’est bien » et ça s’arrête là. J’évite, bien que j’aie travaillé beaucoup ces techniques de diaphragme et autres, quand on ne parlait que de cela : J’en ai déduit qu’il ne fallait pas en parler !
HM : : On peut mal comprendre. Et puis on pousse avec le ventre, au lieu de garder une flexibilité dans cette région. La respiration, cela se passe ici, dans le thorax, dans tout l’espace des poumons, et si on ne permet pas aux élèves d’ouvrir la poitrine, cela devient difficile.
MA : Voilà !
La qualité sonore
HM : L’ouïe est très importante pour acquérir une bonne qualité sonore. J’observe chez des clarinettistes jeunes de Suisse, d’Allemagne, qu’ils recherchent une sonorité plutôt vigoureuse. Ce n’est trop ma priorité. Je pense il vaut mieux se concentrer sur la flexibilité de la dynamique, et de l’intonation, une légèreté dans le détaché. Ces paramètres deviennent difficiles à contrôler si on est trop pris par la production d’une sonorité forte et sombre. Est-ce que c’est différent en France ? Quelle esthétique sonore cherchez-vous à développer ?
Les modes changent
MA : Il faut d’abord parler des phénomènes de mode.
Quand j’ai appris la clarinette, on n’avait pas la même esthétique du son. L’esthétique a changé entre ce moment-là dont je vous parle, jusqu’au moment où j’ai été nommé professeur au CNSM et de ce moment là jusqu’à maintenant aussi.
C’est difficile de prendre partie pour une esthétique ou pour une autre et je ne me le permettrais pas. Cependant il y a actuellement en France et dans le monde entier, une obsession en faveur du son mat, lisse, impersonnel... Je pèse mes mots, une obsession! Ce qui fait qu’on est prêt à tout pour avoir cette sonorité mais au détriment de beaucoup d’autres choses. Et, comme chacun sait, c’est un équilibre qu’il faut rechercher.
Mais là, on est en train de parler d’étudiants, ce qui fait que la responsabilité est lourde!
Au début, quand j’ai commencé, j’aimais le son de Jacques Lancelot (exemple sonore:[2]), son élégance dans le détaché et son style. Aujourd’hui la plupart des étudiants n’écoutent même plus la distinction et l’élégance de son jeu. Le couperet est tombé : c’est trop clair!
Plus tard, Guy Deplus (exemple sonore[3]) a été l’ardent défenseur d’un son plus sombre, vers lequel il fallait nécessairement évoluer. J’ai connu tout ça, je suis allé travailler au États-Unis, j’ai encore entendu d’autres sons et je me suis rendu compte que toutes ces modes différentes ne n’étaient que des détails, et que finalement ce qui émeut le public, c’est la musique. Lui ne fait pas de différence entre les sons, ce n’est pas ce qui le chavire ! Donc avoir pour objectif prioritaire tel ou tel son, me paraît très réducteur parce qu’il vaudrait mieux aller dans le sens de la musique : « comment vais-je transmettre au public cette émotion que me donne la musique et qui me submerge ? »
Cela peut donner du sens à la vie...
HM : Ce qui me paraît très important dans la sonorité, c’est une flexibilité, savoir développer la dynamique dans chaque tempo et chaque nuance qu’on choisit, mais que le son soit toujours en mouvement, disons…
MA : …En mouvement…
HM : Croyez-vous que cela fait partie d’une qualité musicale avec laquelle on parle au public ? Et si le son, qu’il soit sombre ou beau, qu’il ait un maximum de beauté, mais s’il est sans vie...
MA : S’il est linéaire…
HM : C’est presque comme une machine.
MA : J’ai dit ça à certains de mes élèves : « tu as un son magnifique. Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? »
HM : Pourrait-on dire: C’est la musique qui doit guider l’esthétique du son ?
Chercher une qualité modulable
MA : Oui absolument ! La qualité du son, on en a parlé́, mais vous avez dit, « modulable » c’est ce qui est important, comme la voix. Même sans chanter, je suis en train de vous parler, quand je suis passionné, ma voix change, c’est évident. Et bien quand on joue de la clarinette, c’est la même chose : de la clarinette ou d’un autre instrument !
Embouchure
Embouchure double lèvres
HM : Eugène Gay (1932)[1] décrit dans sa méthode la technique d’embouchure qui « enveloppe le bec avec les deux lèvres », de jouer avec double embouchure. Il laisse le choix à l’étudiant finalement de poser les dents sur le bec. Est-ce que c’est à cette époque qu’on a changé les mesures des becs ? Je ne m’y connais pas tellement, mais est-ce c’est à cette époque-là qu’on a commencé à développer une sonorité plus forte ?
MA : Il fallait faire une transition. Juste un point d’histoire : le bec se jouait à l’origine à l’envers, avec l’anche en haut. Alors, c’était envident qu’il fallait mettre la lèvre sur l’anche, pour qu’il n’y ait pas de contact avec les dents.
Après quand on a retourné le bec, on a continué avec les 2 lèvres, puis on s’est rendu compte que c’était moins douloureux de poser les dents sur le bec et aussi qu’on avait plus de puissance ! Cette époque n’est pas si ancienne (j’ai connu des gens qui jouaient comme ça). Il y a même encore des instrumentistes qui jouent avec les doubles lèvres, comme Fabrizio Meloni , clarinette solo de la Scala de Milan !
Ce que je pense, c’est que les orchestres ont grandi ! Il y a eu plus de cordes, les sonorités ont changé, il y a eu plus de volume sonore et au début du 20ème siècle, ce n’était plus possible de continuer à jouer comme ça. Cela explique la nature du jeu de cette époque : comme on n’avait pas beaucoup de puissance, il fallait jouer très timbré, ce qui permettait de se faire quand même entendre. Là je parle d’une sonorité qui existait avant celle dont j’ai parlé tout à l’heure (Lancelot, Druart, Boutard etc.) C’est bien avant, au début du siècle.
HM : Oui, Prosper Mimart[2], à qui la Première Rhapsodie de Claude Debussy[3] à été dédié, jouait avec double embouchure. Il existe un enregistrement historique de Prosper Mimart avec Schubert, Der Hirt auf dem Felsen. Je trouve c'est une sonorité remarquable.
MA : Comme je l’ai déjà̀ dit, à cette époque-là, pour compenser le fait qu’on n’avait moins de puissance, on jouait très timbré. C’était très raffiné ! On parle de l’école française, mais je pense que pour l’école allemande (exemples sonores du clarinettiste Robert Lindemann des années 1923-1949 (exemples sonores : [4]) c’était la même chose, à peu près.
HM : Timbré, ça veut dire beaucoup de…
MA : …d’harmoniques
HM : Souvent je fais pour moi-même des exercices avec l’embouchure à doubles lèvres, parce que là on change l’intérieur de la bouche, et la position de la langue. En plus c’est une méthode pour fortifier les lèvres et pour trouver la façon de tenir la clarinette bien équilibré, sans quelle fasse une pression sur l'embouchure. Est-ce que vous conseillez ça aussi aux élevès ou aux étudiants, ou pas forcément ?
MA : Franchement non, mais je comprends ce que vous dites. C’est difficile avec notre matériel actuel pour un élève débutant : parce qu’au début, c’est très douloureux ! Comme il faut quand même un peu travailler son instrument pour espérer pouvoir en jouer correctement un jour, ça ne va pas dans le bon sens, de mon point de vue. En revanche pour un niveau comme le vôtre, ou le mien, on comprend bien ce que cela apporte, parce qu’effectivement, comme vous le disiez, cela modifie le volume buccal, cela modifie aussi la position de la langue.
La ligne d’embouchure
HM : Une autre question pour l’embouchure, c’est la ligne d’embouchure sur l’anche, c’est important et toutes les mâchoires ne sont pas les mêmes. Alors, il y a une technique qu’on bouge la mâchoire, un peu vers le bas, en avant. Est-ce que vous pensez que c’est une chose à utiliser ?
MA : Je pense que c’est au cas par cas, suivant la morphologie de l’étudiant qu’on a en face de soi. Il ne faut pas s’interdire de parler de ça, bien sûr ! Certains ont la
mâchoire inférieure en retrait, ou au contraire plus en avant, on ne va pas pouvoir dire la même chose. Pas de règle générale, comme je le disais tout à l’heure, chaque individu perçoit les choses de manières différentes. Et on ne va pas dire à quelqu’un: « toi, tu as la mâchoire en avant, tu vas faire ça ». On va lui suggérer d’autres images, mais vous et moi, savons ce qui est important.
HM : On devrait choisir les becs selon la physionomie.
MA : Idéalement, la lèvre doit se poser à l’endroit où l’anche rejoint la table du bec: avant le sommet de la table, l’anche sera étouffée, au sommet de la table, c’est bien, après le sommet de la table, on va perdre le contrôle, donc on va faire des canards!
Suivant la position de la mâchoire, on choisira donc l’ouverture de la table du bec.
HM : C’est évident, oui ! Pour créer une pression minimale sur l’anche, qui est nécessaire, sinon elle ne vibre pas, des fois j’ai remarqué, je pousse un petit peu la clarinette vers l’embouchure. Vous croyez que c’est une bonne chose ?
MA : Je vois très bien l’image dont vous me parlez : vous voulez positionner votre lèvre sur le point où l’anche rejoint le bec ! Oui, bien sûr, parce que vous pourrez appuyer plus, cela ne fermera pas l’anche. Si vous faites l’inverse, bien sûr ça va la fermer.
Angle bec - corps
HM : La tenue de l’instrument a aussi une influence sur l’embouchure, il faut toujours respecter ces deux aspects ensemble.
MA : Ça va ensemble, c’est sûr que plus vous allez jouer comme ça (avec l’instrument plus proche du corps), plus vous allez appuyer sur le bout du bec, donc vous aurez moins de son.
Si vous jouez plus comme ça (avec un angle corps-instrument plus ouvert), vous ouvrez ici, donc à l’inverse, vous aurez plus de son, avec le risque du manque de contrôle.
Tout cela est très logique.
Pour clore ce sujet là, je parlerai de l’ouverture du bec, très importante aussi!
Si le bec est ouvert il faudra se tenir d’une façon différente que s’il est très fermé, comme les becs baroques avec lesquels il faut jouer avec la pression d’air de la flûte à bec et surtout sans serrer les mâchoires
Donc entre ça et les becs de jazz, il y a toute une gamme !
Un clarinettiste sera confortable avec un bec qui ouvre à 119,5, ce qui est déjà beaucoup, un autre avec une ouverture de 116, ce qui est moyen, enfin un autre avec une ouverture de 106,5 ce qui est standard.
Alors ce qui compte, c’est la facilité et le confort de chacun!
HM : Avec certains becs, je n’arrive pas à jouer à l’aigu…
MA : Tout à fait normal !
Vocalisation: la langue sert d’accélérateur
MA : Quelle est l’importance de la position de la langue ?
HM : La langue, sa position et sa forme, sont très importante pour la conduite d’aire juste devant l'ouverture du bec.
MA : Évidemment, la langue sert d’accélérateur !
HM : …pour l’air.
MA : Pour l’air, Oui ! Parce que c’est comme la prise d’air d’un réacteur d’avion, façonnée pour que l’air aille plus vite à l’entrée de la turbine. Là, c’est pareil ! Je ne suis pas motoriste, j’ai lu ça et je me suis dit : cela ressemble à l’image que j’ai de ma bouche.
HM : Est-ce qu’on change la position de la langue, selon le registre ?
MA : Cela dépend : Si on dit les voyelles, « i,e,a,u,o, » ce n’est pas du tout la même position de la langue pour chacune d’entre elles. C’est important et je le dis à dessein, parce que c’est une image que les jeunes débutants comprennent bien : « tu vas jouer en pensant à « i », et maintenant tu vas jouer en pensant à « u », ou à « o ».
Sans dire plus que ça, le résultat va être bien différent. Et vous n’aurez pas eu à parler de vitesse d’air, de toutes ces choses-là, qui sont perturbantes pour un débutant, même si nous, professionnels, en connaissons le principe !
Détaché e legato
HM : Qu’est-ce qui est important pour acquérir un bon legato ?
MA : Pour acquérir un bon legato, il faut avoir un bon professeur (rires) !
HM : Vous êtes surement un très bon professeur !
La homogénéité
MA : Ah non, je ne parle pas de moi... : do ré mi fa sol la si do, sur une gamme, on peut entendre doremifa Solla Sido. L’élève ne l’entend pas, parce qu’il est habitué. Si le professeur dit : « non ce n’est pas ça : écoute, écoute... » C’est un rôle ingrat, parce quand un professeur dit ça, ce n’est pas gentil. Quand il dit » elle est bien la première note, mais la deuxième, on ne l’entend pas », et cela sans arrêt, ce n’est pas gentil ! Mais il faut avoir le courage d’insister pour que l’élève comprenne ce qu’est le jeu homogène, parce que c’est la base, le fondement de l’interprétation !
Legato ou détaché : garder la même embouchure, la même position de la langue
MA : Oui, c’est vrai ! Quelquefois sans succès, mais très souvent avec succès ! Par exemple vous connaissez évidemment, (il chante le début de l’allegro de Concerstück de R. Gallois Montbrun[4]). « Avant c’était très bien, mais maintenant ça ne marche plus du tout » me dit l’étudiant ! « Est-ce que tu peux me le jouer legato, s’il te
plait ?» Il le joue legato et j’entends que l’embouchure est relâchée « Ça ne marche pas parce que tu ne tiens pas bien ton embouchure ! Parce ton idée est que pour le staccato, il faut changer l’embouchure. Rejoue encore legato mais homogène avec un son soutenu et timbré et ensuite tu joues staccato exactement de la même façon, sans rien changer ». Et là tout d’un coup, ça commence à marcher, c’est une découverte pour lui ! Vous voyez ce que je veux dire : Il n’y a pas de différence entre l’embouchure pour le legato et l’embouchure pour le staccato.
HM : Oui ! Est-ce qu’on pourrait dire - c’est encore une question technique - qu’on éloigne souvent trop en jouant du legato la position de la langue ? Elle devrait plutôt être toujours très près de l’anche, aussi si on détache pas. Pour avoir une grande sonorité, on a tendance à retirer la langue peut-être un peu trop et quand on doit faire des articulations, la distance pour toucher l’anche, le mouvement de la langue, deviennent trop grande. Alors pour le legato, je pense qu’il est peut-être mieux de rester tout près de l’anche.
Détaché réflexe
MA : Vous avez raison. On a parlé tout à l’heure de la fonction de la langue,
tout à fait en dehors du staccato, on a aussi parlé de la vitesse de l’air.
Si vous changez votre position avec le staccato, vous allez changer à chaque fois la vitesse de l’air. Et c’est pour cette raison, très souvent, que cela ne marche pas.
Je parle quelquefois d’un détaché réflexe. Si vous mettez la pointe de la langue à la pointe de l’anche, c’est à ce moment-là qu’on a le détaché réflexe : quand on approche, c’est comme si on se piquait la langue sur l’arête de l’anche. Ce n’est pas un grand geste ! En fait, il faut exploiter cette possibilité de ne pas contrôler la langue. Quand vous vous brûlez, vous ne contrôlez pas, c’est la moelle épinière qui réagit, ce n’est pas le cerveau. Là, c’est pareil. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, au Conservatoire, j’ai découvert que je pouvais aller très vite. Petit à petit, j’ai d’abord travaillé sur des notes répétées, ensuite le plus dur a été de le faire avec des notes différentes. Mais le principe était acquis, vous me comprenez ?
HM : N’est-ce pas la technique qui décrit Paul Jean-Jean (1927) dans son Vadémécum[5]: il y a une étude pour des détachés très rapides, il ne propose pas vraiment un mouvement contrôlé, mais quasiment tremolo.
MA : C’est exactement ça !
HM : Mon professeur, qui était étudiant de Cahuzac (exemple sonore[5] m’a montré cet exercice : on touchait l’anche avec la langue et on poussait un peu l’air, l’anche vibrait et la langue était en contact avec l’anche. Moi je trouve que c’est un exercice formidable pour trouver la position de la langue et en même temps trouver une embouchure qui fonctionne pour les deux, le détaché et le légato. C’est commun, cette étude, en France ?
MA : Non pas très souvent. Ce dont vous me parlez, ça me rappelle certains clarinettistes qui déjà à l’origine jouaient avec la langue sous la lèvre.
HM : la langue entre la lèvre et les dents ?
MA : Pas tout à fait, mais derrière les dents.
HM : Oui, les Américains appellent ça "ancher tonguing". On pose la langue vers les dents inférieures, puis on pousse un peu plus derrière. C’est bien pour le slap.
MA : Oui c’est bien pour le slap mais ce n’est pas exactement ce dont je vous parlais avant. Ce que je vous disais, c’est qu’il y a vraiment un mouvement, la langue quitte l’anche mais elle la quitte de 1mm, à peine.
Je connais ce dont vous me parlez, et c’est très possible que Cahuzac l’enseignât, mais je ne m’en souviens pas.
HM : Vous l’avez entendu, surement ?
MA : Je ne l’ai jamais entendu en direct mais je connais tous ses enregistrements. Quand il est décédé, j’avais 12 ans. Sa façon de détacher est très proche de celle de Lancelot. Ça m’a beaucoup passionné ce détaché, parce que ce n’est pas « tu », ce n’est pas « du », c’est quelque chose entre les deux. Vous connaissez bien sûr ?
HM : Oui !
MA : Vous savez, Lancelot avait un jeu extraordinaire, ça aussi je l’ai travaillé ! J’ai voulu comprendre, pas forcément m’en servir, mais juste comprendre comment ça marche.
HM : On sait que la couleur se fait beaucoup dans le début du son, vous en avez parlé tout à l’heure.
MA : Oui.
Variations : articulations sans langue
HM : Je crois qu’il faut se servir de différentes consonantes, des articulations plus ou moins dures, selon l’expression musicale souhaité. Du point de vue musical même une « attaque » sans langue peut être très utile.
MA : Oui on peut très bien jouer sans la langue. C’est intéressant aussi ! Je fais travailler, certains de mes étudiants un peu bloqués de cette façon, c’est à dire, (démarrer sans la langue en soufflant) et il faut qu’il y ait un son tout de suite. Ce n’est pas le processus habituel (embouchure langue, et anche). Ce que j’ai constaté, c’est que lorsque on souffle comme ça, le son commence très très piano, il s’amplifie avec pas trop d’harmoniques, donc on peut avoir un son plus sombre, un peu limité en puissance mais ce n’est pas grave. Par exemple, pour « Fantasiestücke » de Schumann, je trouve ça formidable. On peut faire le premier mi bémol avec une couleur extraordinaire, et on est prêt à faire cet intervalle vers le la bémol qui est la note la plus importante de la phrase ! Cette façon de commencer le son, oui, pour ce genre de pièce, mais ce n’est pas une règle générale, comme vous l’avez dit.
Quand le staccato est très rapide, mais au tempo 120 ça ne marche pas
HM : Pour le tempo rapide du staccato, il y a ce phénomène : j’ai une étudiante qui arrive à faire un staccato dans un tempo très très rapide, comme réflexe, mais elle n’arrive pas à trouver pour le faire à 120.
MA. Oui c’est vrai ! J’ai des amis, qui sont, par exemple, très à l’aise à 144 et à 112, beaucoup moins !
HM : On ne peut pas jouer le Concerto de Mozart à 144. Pour cette musique, c’est très important de pouvoir détacher à 120, 116...
MA : Voyez-vous, ça m’évoque une réponse que je donne souvent : « De toutes façons, la bonne solution, ce n’est pas de jouer vite », comme vous avez dit. On ne pourra pas jouer Mozart à 144. Mais il y a une autre solution : C’est de le jouer à un tempo raisonnable et au lieu d’essayer de faire du staccato, alors qu’il n’y a rien de marqué, on peut mettre une articulation, un legato de temps en temps et ça va petit à petit devenir une chose naturelle (et beaucoup plus facile). Ensuite, quand on aura essayé cette solution, peut-être la gardera-t-on, parce qu’on trouvera que c’est aussi plus intéressant musicalement (en changeant les articulations) et on aura résolu une partie du problème.
HM : Je crois que c’est un bon chemin, on peut aussi beaucoup plus librement lire les textes de cette époque, surtout en ce qui concerne l’articulation, s’ils n’écrivent pas « legato », cela ne veut pas dire que tout est détaché.
MA : Non, évidemment.
HM : D’autre part, dans les « Fantasiestücke » de Schuman, le signe Legato, joué par un violoncelliste, est traité plus librement. Là un legato ne se joue pas toujours avec un seul coup d’archet. Mais ce sont plutôt des questions de l’interprétation.
MA : Oui, je suis d’accord avec ce que vous dîtes.
HM : Mais comme vous avez dit au début, de travailler la technique, toujours en combinaison avec l’interprétation, cela fait pour moi beaucoup de sens. C’est comme ça qu’on trouve encore plus de motivation pour le travail technique.
MA : Juste un mot pour revenir là-dessus : quand on a un intervalle difficile à faire : par exemple Sib Mib Sol Fa, (Mozart, début de la longue phrase du 1er mouvement) cela peut être très facile et cela peut être aussi vraiment difficile, mais c’est moins difficile si on sait, qu’on va du si bémol jusqu’au fa. Que ce n’est pas : Sib-Mib-Sol-Fa - , avec des notes complètement abstraites, mais Sib Mib Sol Fa joué comme motif musical, on se dirige vers quelque chose, et tout d’un coup, on se rend compte que cela va mieux.
HM : Oui, c’est le principe.
MA : On rejoint ce qu’on disait à l’instant, sans plus le développer : c’est vrai que c’est important.
HM : Cela met les questions techniques dans un contexte musical.
MA : Voilà !
HM : Et les aspects techniques dont on a besoin, se réunissent dans une unité.
MA : Exactement !
La souplesse des doigts
HM : La souplesse des doigts, qualité excellente de l’école française, est aussi lié à l’histoire de l’instrument. Dans les années 1830 environ, le système Boehm a été appliqué à la clarinette...
MA : oui
HM : Et beaucoup de traits difficiles sont devenus vraiment plus faciles.
MA : En effet ! Parce que je ne pense pas que les doigts des clarinettistes allemands soient moins agiles que ceux des clarinettistes français, mais les doigtés sur la clarinette système Oehler me semblent beaucoup plus difficiles.
Intonation
HM : Et pour l’intonation, c’est bien sûr indispensable au sein de l’orchestre : il faut d’abord avoir l’ouïe, s’entraîner, je fais des exercices avec la machine, pas seulement pour lire où il y a l’aiguille, mais pour un son constant, et puis je fais des intervalles, en montant : do - mi - sol– do - mi - sol, en descendent : fa- re -si -sol- fa - re -do par exemple. La machine joue toujours un sol.
MA : Des vocalises...
HM : Mais pour corriger l’intonation, est ce que vous vous servez des voyelles, un peu plus sombres, un peu plus claires, par un changement de la position de langue, ou corrigez- vous plutôt avec les doigtés ?
MA : Oui les doigtés, surtout. Il y a beaucoup de doigtés qui permettent de corriger. Vous avez raison de parler de l’ouverture, les voyelles, c’est aussi important.
HM : C’est peut-être aussi la vélocité de l’air qui change.
L' Intonation, un moyen d'expression musicale
MA : Oui, naturellement. Il y a aussi la conscience qu’on a de l’intervalle, par exemple : Do Ré Mib Ré Fa Lab (Mozart concerto, début 1er mouvement) : Une tierce mineure! Et quelle tierce mineure ! Elle est géniale : c’est le 1er Lab d’une série qui va nous emmener à travers une sorte de cadence à la résolution de la phrase (Do Sib Lab Fa# Sol).
Certains pensent que c’est Fa Laaa b (un peu plus haut), et d’autres pensent que c’est Fa Laa b (un peu plus bas) ! Mais ça, on ne peut pas le changer. On peut dire simplement : « moi ce n’est pas comme ça que je le sens, pour suggérer qu’il y a une autre solution. C’est le tempérament de chacun ! Vous n’allez pas changer le tempérament de quelqu’un !
HM : L’intonation devient une partie de l’expression musicale, une question d’interprétation.
MA : C’est une évidence pour moi ! Je le sens dans mon corps, dans ma tête que ce La bémol il doit être bas, vous comprenez ?
Mais il faut qu’il soit juste aussi, c’est là que la couleur peut remplacer l’intonation!
Techniques contemporaines
Slap Tongue
HM : Pour moi la plus grande difficulté est de garder plus ou moins l’embouchure normale. Si on a mis assez de langue sur l’anche pour faire le vacuum, et au moment de la retirer et de garder la position de l’embouchure, je trouve que c’est très difficile. Avec la clarinette basse, j’y arrive bien mais avec la Sib et la Mib beaucoup moins
MA : Je vais être très honnête avec vous, je ne sais pas faire le slap. Je ne suis jamais arrivé́ à le faire. Sur une clarinette basse, oui, c’est beaucoup plus facile ! Mais cela ne m’a pas empêché de l’enseigner à mes élèves. Parce que je sais comment il faut faire. Donc j’ai eu des élèves qui ont appris le slap avec moi ! Je me le suis fait expliquer de nombreuses fois par des gens qui le font de manière extraordinaire et j’ai bien compris. Avec certains élèves ça marche très bien, avec d’autres cela ne marche pas.
HM : Il y a quelque chose de commun entre un slap et un staccato très grossier. Je mets beaucoup de langue et puis je presse assez fort mais là ne peut pas parler d’un vacuum. Ceux qui le font vraiment bien, ils arrivent à tirer l’anche qui « colle » fort au vacuum de la langue, et puis ça rebondit !
MA : Oui, oui ! J’avais un élève japonais qui était incroyable. Il faisait le vide entre sa langue et l’anche et le bec tenait tout seul... et ça faisait un slap énorme !
Glissando
HM : Le début du glissando, c' est en fait une correction d’intonation, évoquée par une modification de la vocalisation. Je crois que c’est la même technique, qui se combine avec les doigtés
MA : Oui c’est ça exactement. C’est le geste ouvert fermé (embouchure et langue) ou à l’envers, ça dépend d’où on part, c’est facile mais pour le chalumeau c’est beaucoup plus compliqué !
La Sonate de Edison Denisov
HM : Un trait difficile, se trouve dans la sonate de Denisov: le glissando du la1 au ré bémol1. J’ai essayé avec les doigtés: en jouant le la1 pas avec la clef de la, mais avec la clef de la douzième, laissant ouvert le trou du sol1, et après jouant une gamme chromatique descendante jusqu’au La – le pouce doit reste posé au clef de douzième, se sol1 reste ouvert - on arrive à un ré bémol.
Glissando au premier Mouvement
MA : Avec le doigté on arrive presque à le faire, mais il faut s’aider un peu avec la langue. L’histoire que j’ai entendue de la bouche de Denisov, quand j’ai créé la pièce, c’est que le dédicataire, Lev Mikhaïlov, un clarinettiste russe (exemple sonore : [6]).
HM : Ah, vous l’avez créé ?
MA: En France, en France!
HM : Parce que Denisov à vécu à Paris ?
MA : Il venait assez souvent à Paris. C’était un musicien officiel de l’Union Soviétique et il n’avait pas de problèmes pour se déplacer à l’ouest. Il est donc venu pour écouter la création française de sa Sonate. J’ai commencé à lui jouer et là il m’a dit qu’il avait écrit tous ces glissandos du début pour Lev Mikhaïlov qui avait une facilité extraordinaire pour les faire, même dans le chalumeau. J’en ai déduit qu’il devait jouer avec des anches très faciles. Cela m’a mis un peu sur la piste !
Une autre expérience m’a aidé à comprendre: Je suis allé un soir écouter un concert que donnait, avec son orchestre, le flûtiste roumain Zamfir (exemple sonore[7] : Magnifique ! Ce qui m’a interpellé, c’est le clarinettiste qui jouait avec lui et qui faisait admirablement des glissandi dans tous les registres !
A la fin je suis allé voir ce Monsieur et je lui ai dit: « Je suis très admiratif de ce que vous faites, je suis professeur au CNSM et je me demande comment vous faîtes ces glissandi » Il me répond: « Oh ça c’est facile ! Ce n’est rien du tout ! C’est beaucoup plus difficile de jouer le concerto de Nielsen ! » Et puis : « Essayez, vous allez voir, soufflez, ça va marcher ! » Je souffle et... pas un son ne sort ! Bec très fermé, un peu le genre de bec qu’on joue avec une clarinette, baroque, vous voyez ?
Après, chez moi, je me suis dit : mais comment c’est possible ?
Et puis j’ai compris : Il était amplifié par un micro !! Donc pas besoin de jouer fort, et, effectivement, avec un bec très très fermé et une anche type no. 2 on arrive à faire ça (glissando en descendant). Même dans ce registre !
HM : Je vais essayer ! Mais on ne peut quand même pas jouer toute la sonate avec une anche No 2 ! Mais ce clarinettiste y arrivait ! Le clarinettiste russe faisait le deuxième mouvement avec toutes les aigues, tous les grands sauts ?
Tempo du deuxième mouvement
MA : Oui ! Alors justement, c’est vraiment important: Je jouais assez prudemment devant Denisov et soudain il me dit : « Non, ce n’est pas assez vite, il faut que ce soit très très vite, voyons! » Je lui dis : « Mais après ce n’est pas possible, c’est trop vite pour moi »! Il me dit : « Non, ce qui est important c’est la répétition des notes, le plus vite possible, après, dès que vous avez les motifs, vous les faites à votre vitesse ! Ce qui est important, c’est l’angoisse ! » Et quand on arriva en bas de la page de droite. Ti tara tara pa ! Je lui ai dit : « Ça, dans ce tempo, je ne peux pas. Excusez-moi » ! Il me dit : « Mais si, vous pouvez, faites-le à votre vitesse! » Et c’est comme ça que j’ai compris l’esprit du 2ème mouvement, qui me paraissait injouable ! Ce fût une chance pour moi de le rencontrer !
Il m’a montré ce qu’il voulait et l’importance pour lui, de l’interprétation du texte.
HM : J’ai lu que Denisov avait beaucoup entendu la musique de Mozart, les opéras, et dans la Flûte enchantée, il y a Papageno qui veut toujours entrer, qui frappe, alors c’est toujours ce motif et on ne lui ouvre pas. Et l’ouverture Ta Pam, Pam ! c’est le signe de frapper à la porte des Francs-Maçons. Et il a eu des problèmes pour ça !
MA : Oui !
HM : Et encore une fois Papageno, qui n’est pas dans le cercle des privilégiés et qui cherche désespérément la sortie de sa situation, c’est ça peut-être le thème du fugato, mais aussi le thème, peut-être de la sonate
MA : Oui, je pense que cela a un rapport. Il ne me l’a pas expressément dit. Mais il m’a décrit une anxiété avec les mots des gens qui sont anxieux, qui ne trouvent pas l’issue ! C’était aussi le cas de Donatoni!
HM : Oui, « Clair » de Donatoni ?
MA : Clair ? Une très grande anxiété, une angoisse même ! Donc on ne s’en sort pas ! C’est la même chose ! Toutes ces phrases répétées, qui trouvent au bout d’un moment vaguement une sortie, qui n’en est pas une ! Non, on tourne et retourne toujours !
Ce sont des gens qui sont toujours inquiets, inquiets et même angoissés !
HM : Cela me semble important, de trouver aussi dans la musique contemporaine des émotions !
MA : Ce n’est pas toujours le cas : j’ai cité deux compositeurs, mais tous les compositeurs ne sont pas angoissés, heureusement !
Interprétation
MA : La musique reste la musique : qu’elle soit contemporaine ou pas! La musique contemporaine est souvent très difficile techniquement, mais elle a besoin d’être interprétée aussi. Par exemple, si je n’avais pas rencontré Denisov, je n’aurais jamais osé faire ce qu’il m’a expliqué́ ! Je me serais dit : « on ne peut pas faire ça, c’est une trahison ! » Mais pas du tout, c’est une interprétation ! Je pense qu’il faut essayer de comprendre le caractère, et puis on l’adapte, on l’interprète. J’ai travaillé́, quand j’étais à l’Ensemble Inter-Contemporain avec des compositeurs qui n’avaient pas entendu leur pièce à la clarinette. Quelquefois je jouais instinctivement, très libre : L’un m’a dit : « Moi je ne l’avais pas entendu comme ça. Mais gardez ça ! ».
Multiphoniques
HM : On en a parlé, plus ou moins, parce que pour jouer les harmoniques, c’est aussi une question de la position de la langue. Si je joue fa grave, et puis le do2, et puis le la2 et puis les harmoniques qui suivent, sans utiliser la clef de registre, ça me fait travailler l’intérieur de la bouche, et c’est la même technique qu’on utilise pour les multiphoniques.
MA : Oui, vous avez complètement raison : les plus difficiles en fait, sont les multiphoniques pour lesquels il n’existe pas de doigtés, c’est à dire les harmoniques du Mi, du Fa, du Sol graves et plus généralement celles du chalumeau. Vous êtes dans les notes fondamentales, si vous appuyez sur une clef, vous perdez la fondamentale Donc oui, effectivement, cela correspond à ce que vous dîtes.
HM : C’est un mélange de positions de la langue pour notes graves et plus hautes, combiné avec une certaine conduite d’air.
MA : C’est aussi une question de conscience du résultat attendu ! Vous êtes avec un étudiant, vous lui dites vraiment ce qu’il faut faire, vous lui montrez, mais s’il n’a pas la conscience de ce qui se passe, il ne pourra pas. D’ailleurs ce n’est pas si grave, quand on est obligé, on finit par trouver une solution, toujours !
HM : Vous avez raison, même dans la musique contemporaine, quand on pense que quelque chose est impossible, si on a le temps, on trouve des solutions !
MA : Oui.
Le suraigu
HM : Les notes du suraigu, ce sont tous en fait des harmoniques du chalumeau, Je peux jouer un do4 , des fois, selon le matériel, anche et bec, c’est possible de monter jusque’ au ré, ré dièse4, mais il y des gens qui jouent jusqu’au fa5 !
MA : Oui, au fa5, oui je l’ai entendu ! Ce n’est pas mon cas, mais je peux jouer jusqu’à ré, ré dièse, dans certaines circonstances !
Pour jouer les notes sur-aiguës, il faut avoir une anche un peu tenue mais pas vraiment forte.
Quel type d’embouchure ? C’est comme dans les multiphoniques, on va garder la façon de jouer les notes les plus aiguës, on va se rendre compte que c’est possible ! Ce qui est difficile, c’est l’enchainement des doigtés souvent très compliqués. Mais obtenir les notes, ce n’est pas si difficile ! Encore une fois, il y a des images importantes : Il y a une dizaine, une quinzaine d’années, pour moi les notes sur-aigues, c’était vraiment compliqué, j’étais très mal à l’aise. Et puis un jour, ça va vous amuser, parce que ça ne concerne pas vraiment la clarinette, il y a quelques années donc, j’ai travaillé la sonate de Franck.
HM : Pour violon ?
MA : Oui, pour violon! J’avais envie de la jouer, mais je n’y arrivais pas, évidemment ! Et puis, comme j’en avais très envie, j’ai continué, et un jour j’ai compris ! J’ai compris que, la position de la langue, vous voyez, c’est là que ça se passe, et qu’on peut monter assez facilement, finalement.
HM : Bravo !!
MA : Non, pas bravo ! C’est un hasard ! J’avais envie de la jouer, parce que j’adore cette musique ! C’était juste pour moi et personne ne m’a entendu la jouer ! Mon sur-aigu était fragile à l’époque... Pour donner encore une toute petite explication, c’est une question de vitesse...
HM : Vitesse d’air
MA : Vitesse d’air avec la langue très près de l’anche.
HM : La forme et la position de la langue ?
MA : Plus vous reculez la langue, plus vous avez une cavité buccale importante. Et pour le sur-aigu il faut vraiment que ce soit l’inverse.
HM : Pour modifier la sortie de l’air.
MA : J’ai entendu un jour un musicien jouer de la clarinette en la bémol - il faisait partie d’un orchestre d’harmonie - d’une façon incroyable, je me demande comment il faisait!
HM : J’ai essayé, mais très peu.
MA : J’ai essayé aussi, mais encore une fois pas un son !
Même pas un mi grave, rien ! Toujours pour la même raison : c’est un matériel différent et très particulier! Le bec est fermé, c’est comme si on jouait de la flûte à bec! Ça marche tout seul: pas de pression, absolument pas de pression ni avec les lèvres ni avec l’air!
HM : C’est intéressant, on joue tellement haut, et il y a beaucoup moins de pression que dans les notes graves ! Mais l’air, elle bouge plus rapide.
MA : Très rapide !
Joseph Marchi
Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce clarinettiste, Monsieur Joseph Marchi[6] qui avait inventé ce qu’on appelle le système Marchi. Il avait mis une clef sur la clarinette qui permettait de monter bien au delà du contre-ut. Au début il collaborait avec un autre fabricant, et puis il a travaillé ici, chez Buffet-Crampon. Je me souviens ! Ce qui était intéressant, ce n’est pas seulement le fait qu’il ait trouvé cette clef, mais plutôt qu’il se soit aperçu, que même sans la clef, ça marchait ! Pourquoi ça marchait ? Parce qu’en s’habituant à jouer avec sa clé, il s’était aussi habitué à une autre façon de souffler.
Pour le suraigu : air vite, pression basse
Excusez-moi, j’insiste parce que ça me paraît important !
Il utilisait une sorte de manomètre, d’où sortait un petit tuyau qu’il mettait dans sa bouche et on voyait la pression sur un cadran! Alors, ce que je vais vous dire est très étonnant ! Jusqu’au si1, mi2, si2, pression assez forte, à partir du si2, ça commence à baisser, la mi3 fa3 sol3 dans l’aigu, il n’y a presque plus de pression, si bémol3 la3, si3, do3 encore moins !
Il y a vingt ans, vingt-cinq ans, j’avais exactement l’image inverse: Plus je monte dans l’aigu, plus j’ai de la pression. En vérité j’avais le tuyau, un petit plastique, là, dans la bouche, je soufflais, je regardais le cadran et je me disais : « Ce n’est pas possible ! »
HM : La pression est plus basse dans l’aigu...
MA : Plus on va dans l’aigu, plus elle descend !
HM : Et la vélocité d’air, c’est un facteur : Pression, vélocité et volume de l’air qu’il faut mettre dans un bon équilibre.
MA : Je crois que c’est la théorie des courants électriques.
HM : Oui, aussi des gaz et de l’eau. C’est le physicien Venturi (1746-1822), qui a trouvé qu’il y a moins de pression dans une zone ou les particules de fluide ou de gaz sont accélérées19
MA : Voilà, c’est ça,
Je ne suis pas un spécialiste mais je sais qu’il y a des constantes et qu’il y a aussi des variables, et ce ne sont pas toujours celles qu’on imagine. Je ne peux pas vous répondre précisément mais j’ai vu qu’il avait des correspondances avec cela, comme avec les fluides aussi.
Vitesse de l’air, très vite, volume de l’air, très peu !
Ce sont des sensations que j’ai acquises au long du chemin...
HM : Pour évoquer les vibrations, pour donner l’énergie dans le tuyau de la clarinette, il suffit de faire passer juste un peu d’air dans la clarinette.
MA : Vous avez surement vu, je l’ai vu aussi, mais je ne suis mal qualifié pour en
parler, que curieusement, dans une clarinette, les vibrations s’arrêtent avant le pavillon et remontent vers le bec ! C’est vraiment étrange.
J’avais travaillé avec les chercheurs de l’IRCAM et avec l’ensemble Inter- Contemporain, ils étaient passionnés et le sont certainement toujours. Il y a la théorie bien sûr ! La théorie part d’un tuyau virtuel, mais ce n’est pas un tuyau virtuel que nous utilisons ! Si vous diminuez l’épaisseur du bois de la moitié, ce n’est plus du tout la même chose ! Quand, avec Buffet Crampon, on a fait cette clarinette, vous connaissez peut-être, qui s’appelle L’ »Elite », on a diminué l’épaisseur du bois (pas la perce) c’était très intéressant mais ce n’était plus du tout pareil à ce que l’on connaissait!
Petite clarinette
Voir aussi : Varèse
MA : On ne peut pas considérer la petite clarinette comme un instrument annexe, c’est un véritable instrument spécialisé !
Très récemment j’ai eu un étudiant qui préparait un concours où il lui était demandé de jouer la petite clarinette. Il m’a dit:« je sais déjà jouer la petite clarinette » Je lui ai demandé:« qu’est-ce que tu as fait ? J’ai joué l’autre jour avec l’orchestre des élèves. » Ça veut dire: « tu ne sais pas vraiment jouer de la petite clarinette ».
Il me jouait (M. chante le premier solo du Sacre de Printemps ), naturellement, pour les notes aigües, il n’y arrivait pas, parce qu’il faut acquérir des réflexes ! Vous parliez tout à l’heure de position d’embouchure etc., eh bien c’est en forgeant qu’on devient forgeron ! Tout simplement !
Donc si on dit, la petite clarinette ce n’est pas difficile, ce sont les mêmes doigtés, c’est faire preuve d’inconscience !
HM : : Non seulement la maîtrise de la tessiture par une vocalisation bien placée, aussi l’articulation à la petite clarinette demandent une position adaptée de la langue. Et ça diffère bien sûr de la clarinette basse. Ici la langue peut toucher l’anche bien plus bas, surtout pour une l’émission libre des notes graves. Et pour atteindre un staccato avec une bonne qualité sonore, il faut travailler.
Instrument, bec et anches
Voir aussi : Chercher une qualité modulable
Perce, qualité de son et intonation
HM : : Est-ce que dans le nouveau modèle Légende de Buffet Crampon, on a cherché plutôt les possibilités de changer les couleurs dans le piano, et moins la puissance et moins une force dans la sonorité ?
MA : De garder la richesse, même dans les pianos, dans toutes les nuances. A propos de Buffet Crampon, comme vous l’avez souligné, sa longue expérience de la recherche du « beau » son, mérite qu’on s’y attarde quelques instants.
Toutes les personnes, les essayeurs principaux notamment, qui s’occupent de la conception des clarinettes dont la « Légende », le dernier exemple de cette illustre lignée, ont la même idée du son. C’est donc assez facile de (re)trouver ce que vous venez de décrire: la couleur spécifique du son « Buffet ». Effectivement, la « Légende » ou la « Tradition » - qui porte si bien son nom -
représentent la volonté de redécouvrir ce son qu’on avait il y a une cinquantaine d’années, (timbre, son centré, « centered sound » diraient les américains) mais sans les problèmes d’intonation inhérents, résolus depuis d‘ailleurs, en particulier avec la « Tosca ».
Ce son, le retrouver a été facile et avec tout ce qui a été appris depuis 50 ans, on a pu obtenir une intonation professionnelle, ce qui n’était pas toujours le cas à cette époque, vous le savez bien! (rires).
MA : Je pense que les très anciennes clarinettes avaient une perce
et un son remarquables. Cependant on n’avait pas résolu ce problème qui est typiquement celui de la clarinette, c’est à dire la différence d’intonation entre le registre chalumeau, -notamment dans les notes graves- et le registre clairon, -à cause de sa conception même- Peu à peu on a appris et compris beaucoup et sans dévoiler de secrets, on a pu stabiliser le problème, à le faire évoluer très positivement !
Becs
HM : Est-ce dans les 50 ans passés, on n’a pas aussi changé le matériel qu’on joue, des anches plus fortes et des becs un peu plus ouverts ?
MA : Oui, mais il y a eu un énorme progrès, vous le savez, on n’a plus fabriqué les becs en bois mais en ébonite, ce qui a tout changé.
HM : Ah oui, je n’y pensais pas en ce moment.
MA : Parce qu’en fait, lorsqu’on jouait les becs en bois, j’en ai essayé il n’y a pas très longtemps, on avait 2 paramètres instables : l’anche et le bec !
Anches
MA : Quand on a utilisé l’ébonite, c’est un gros souci qui a disparu ! Heureusement, parce que c’était assez compliqué de faire différentes ouvertures de bec avec ces très instables tables en bois, difficiles à maitriser. Maintenant, on n’a plus que les anches qui restent très dépendantes du climat... Pour pallier à cette instabilité, des anches en matière synthétique ont été́ étudiées et fabriquées. Je n’en suis pas un partisan inconditionnel ! Mais, même si elles sont encore très perfectibles, c’est aussi comme cela qu’on arrive à progresser !
Conclusion
MA : Devant toutes ces incertitudes, on ne peut que rester humble et respecter ce que les anciens ont mis si longtemps à concevoir, certes de manière empirique, mais avec les résultats que l’on sait, concernant la facture instrumentale.
Pour ce qui est de l’enseignement de la clarinette, au delà̀ de la technique de la respiration, de la façon de souffler, de la vitesse de l’air, de la position de la langue, du volume de la cavité́ buccale, je pense qu’il vaut mieux procéder par images, comme je le disais précédemment et se souvenir que tout cela n’est rien sans la musique.
Ceux des étudiants qui deviendront professionnels (1% environ) sauront mettre des mots sur les images et les sensations qui en découlent. Tous les autres _et c’est surtout pour eux que les professeurs exercent leur mission_ tous les autres aiment la musique avec passion, veulent la pratiquer et le plus souvent collectivement. Il me parait inutile de transformer leur passion en parcours d’obstacles...
Pour les uns et les autres, entretenons la passion de la musique.
HM : C’est une excellente conclusion, merci infiniment !
HM, 31. juillet 2018
- ↑ Eugène Gay (1932). Méthode progressive et compl te (theorique et pratique) pour l’étude de la clarinette. Paris, Billaudot
- ↑ Prosper Mimart (1911): Méthode nouvelle de clarinette; théorique et pratique. Contenant des photographies explicatives de nombreux exercises et des leçons mélodiques. Paris, Enoch
- ↑ Guy Danguin: Debussy et la Rhapsodie pour clarinette.[8]
- ↑ R. Gallois Montbrun (1946). Concertstück pour clarinette en si♭ et piano. Paris, Alphonse Leduc.
- ↑ Paul Jean-Jean (1927). "Vade-Mecum" du clarinettiste six etudes speciales. Paris, Leduc.
- ↑ Joseph Marchi, et Guy Carrière (1971). Méthode moderne de clarinette. Valencia, Piles