Michel Westphal
L'interview avec Michel Westphal [1] a eu lieu le 22 septembre 2017 à Genève.
Canon didactique
HM : Est ce qu'il faut demander aux étudiants à chaque leçon un parcours technique pour mettre de bonnes bases ou est-ce qu'on joue directement des pièces de la littérature, et on travaille la technique selon les difficultés demandées dans les morceaux ? Que penses-tu, quelle est ton expérience ?
Individualiser les leçons selon l’âge de l’élève
MW : Je vais faire une réponse de Normand : je dirais les deux ! La leçon, c'est une chose et puis la vie de tous les jours, c'est une autre chose. Je pense que la leçon n'est pas forcément un résumé du travail de tous les jours.
Un échauffement dans les leçons jusqu’à 14/15 ans
C'est très bien de commencer en s'échauffant. Quand on est jeune, on n’y pense pas trop, parce qu'on a la force physique et la santé. Avec les années, on se rend compte qu’on va éviter les tensions en faisant un bon échauffement. Finalement on va moins se fatiguer et économiser ses moyens. Donc c'est aussi important de faire comprendre à un étudiant que ça a un sens. Pour la leçon, tout dépend de l'âge de l'étudiant. Pour un très jeune enfant, même jusqu'à l’âge de 14/15 ans, c'est vraiment important d'avoir un échauffement dans la leçon. Après, quand l'étudiant va prendre conscience d'un certain travail qu'il doit faire de toutes façons tous les jours, ce n'est plus nécessaire surtout s’il a déjà joué une ou deux heures avant la leçon. Donc c'est pour cela que je dis que la leçon n'est pas forcément un résumé de la journée.
Buts importants de l’échauffement
- Trouver une bonne sonorité
Quand on n’a pas la sonorité qui nous plait, on va la chercher. Jouant des trais exigeants, on peut aller vers des tensions pour obtenir la sonorité. Si on fait un bon échauffement, on peut se focaliser à trouver une bonne sonorité sans crispations.
- L'introspection et l'observation de soi-même
Les exercices d'échauffement donnent l’opportunité de s'observer soi-même. Puisqu'on a moins de musique à faire, on peut se concentrer sur tous les aspects de la posture, la tenue des mains, la souplesse des doigts, s'observer aussi psychologiquement, comment on est en éveil, comment on est réactif par rapport à ce qu'on doit faire, sans avoir trop d'aspects musicaux à traiter. Donc le travail de technique est une opportunité d'introspection et d'observation de soi-même. On y apprend à trouver une certaine distance vis-à-vis de soi-même.
Quand j'ai des élèves, soit petits, soit chevronnées, je dis toujours : « attention, quand on fait des gammes, même difficiles, il faut faire cela dans un état d'éveil, pas comme une machine, pour s'observer soi-même ».
HM : Cela me parait très important. Quand on fait de la musique, on est pris dans la réalisation d’une idée musicale, et si on est très engagé à « donner tout pour la musique », souvent on donne trop d'air, trop de force, trop de pression. Cela peut provoquer des canards. Mais si on trouve la discipline à s'observer pour apprendre à connaître soi-même en travaillant la technique, on a après tous les moyens pour se consacrer à une interprétation vive et pleine d’esprit.
La sonorité comme base de la virtuosité
HM : Ca fait peut-être un peu dépasse, mais pour apprendre une bonne technique de base, n’est pas toujours nécessaire de suivre un programme avec des sons filés, bien faisant attention à la tenue générale, et sur cette base on développe la technique avec les gammes, arpèges, intervalles, les articulations ? Et on donne à l’étudiant dans les leçons un plan pour son échauffement et son travail technique ?
MW : Oui. Tout à l'heure, j'ai dit oui et non par rapport à ta première question. Et donc oui pour le principe général qu'il faut s'échauffer avant de jouer, selon l'âge. On va faire plus ou moins d'échauffement et un peu de technique au début de la leçon, selon les aptitudes de l’élève.
- La Finition de la technique dans le travail du répertoire
L'autre aspect, c'est quand on se consacre au répertoire, on se confronte à des difficultés techniques, à des challenges. À ce moment-là, la technique générale, c'est une chose, mais il faut savoir répondre à ce que le répertoire demande. Quelque chose que je pratique et que je conseille : l'avantage de se consacrer au répertoire, c'est qu'on peut aller de façon profonde et travailler finement la technique. Alors quand on fait une technique plus globale, il y a peut-être moins besoin d'approfondissement. Le répertoire est le plus exigeant dans le résultat fini, c'est là qu'on le cherche et pas dans une technique globale.
Suivre un plan d’enseignement en fonction des capacités données
MW : C'est sûr qu'un enfant doit savoir comment souffler, comment se tenir, comment poser les mains sur l'instrument. Tous ces aspects techniques, on va les développer les uns après les autres, aussi en fonction de la facilité ou des capacités naturelles de l'enfant. Le choix de la littérature donne en même temps des repères pour les aspects de technique à travailler. Je propose un plan qui s’oriente selon des priorités suivantes :
- La position générale
Commencer toujours dans une bonne posture - La respiration
Je l'aborde un peu plus tard, pour ne pas compliquer la façon de souffler au départ. J’essaye de trouver une façon naturelle de souffler et tout ce qui est mode d'attaque. - L’attaque, la production du son
- L’articulation
- Les doits
- Révisions permanentes
Dans les niveaux plus supérieurs, on a toujours des questions de base à revoir. Même un professionnel avec beaucoup d'expérience doit toujours se réajuster, se recentrer sur des techniques de base. Cela va être en fonction des traits d'orchestre, de musique de chambre ou de concertos.
L’école Français de clarinette
HM : Je suis un grand admirateur de l'école française, de la facilité de jouer la clarinette, de la clarté dans les articulations, de l'esprit et d’une virtuosité très vivante. Dans ta formation suivie en France, est-ce qu'on a séparé le travaill des gammes, des arpèges, des staccatos du travail du répertoire ?
MW : Oui c'est intéressant de revenir un peu dans le passé, parce qu'on ne pense pas toujours à ses débuts, mais ça vaut la peine de se pencher là-dessus.
HM : Je suis persuadé que tous les gens comme toi, qui ont des postes prestigieux, ont fait des écoles très strictes, très disciplinées.
MW : C'est vrai que je suis issu, on va dire entre guillemets de la vrai « école française ». J'ai eu essentiellement deux professeurs, et presque que ça. À part les tout débuts, qui étaient des étudiants de mon professeur. J'ai eu un professeur pendant 11 ans, qui était première clarinette solo à l'Orchestre National de Lyon, donc orchestre symphonique, qui faisait aussi l'opéra. J’ai suivi toute ma formation avec le même professeur.
HM. Et tu as commencé comme enfant ?
Une embouchure solide et des bons doigts
MW. Oui. Déjà à l'âge de 10 ans, j'ai eu ce professeur là jusqu'à presque 20 ans. Toujours le même ! Il n'y avait qu'un seul professeur dans le conservatoire. Et après cela, je suis rentré au conservatoire supérieur de Lyon, où mon professeur a été Jacques Lancelot, donc un soliste vraiment reconnu et très représentatif de l'école française des années 50/60. Les deux en fait on eut presque la même approche. Monsieur Lancelot avait une phrase (rires) assez caractéristique, assez française. Il disait « Pour faire un bon clarinettiste, il faut :
- Une embouchure très bonne et solide, dans laquelle on a confiance, donc pas de canards; très stable.
- Et des bons doigts.
Et avec ça, vous faites une carrière. » C'est vrai que c'est une conception presque avant-guerre, de dire, voilà « sois solide et tu feras ton chemin ». Mais tout cela pour dire, que la technique, que ce soit l'embouchure et encore plus les doigts, et la tête, « la vivacité de la tête » c’était vraiment une chose de premier plan.
Une musicalité naturelle
« Après, si tu es musicien, tu réussiras. Si tu n’es pas bon musicien, je ne peux pas faire grand-chose pour toi ! » C'était peut-être une façon de se détacher d'une certaine - je mets des guillemets, parce que je l'ai apprécié comme professeur - « responsabilité » de guider musicalement un étudiant. En même temps il a beaucoup enregistré, il a beaucoup joué, et donc on pouvait se laisser inspirer quand même.
Toutes les gammes avec toutes les articulations
C'est vrai, que dans l'école Française, c'était énormément les doigts. Évidemment dans les gammes on parle aussi d'articulation, par exemple sur quatre double-croches, trois liées, 1 détachée, ou deux liées deux détachées, ce qui est classique. Mais on n’a pas n'a pas beaucoup parlé de la qualité de l'articulation, et de l'articulation - comme on a dans la langue parlée - de consonnes de différentes qualités, différentes expressions. Ce n’est pas péjoratif, mais un peu superficiel, de dire seulement combien on va lier et combien on va en détacher.
Au bout de quatre/cinq ans, c'était des cahiers de gammes en fait qu'il fallait vraiment travailler de façon assidue. Et dès qu'on sentait un enfant apte avec un certain enthousiasme, c'était un travail technique.
Moi quand j'avais 12/13 ans, je faisais une 1h que de technique systématique : études de tonalités, les gammes dans tous les sens, les gammes en intervalles, tous les intervalles, les arpèges, pareil avec la gamme chromatique, c'était essentiellement.
Développer la qualité des articulations
On a évidemment parlé d’un staccato très court ou plus long, mais on n'a pas vraiment parlé de la qualité de l’articulation, ni de son impact musical, par exemple, comment commencer une phrase: en faisant toujours « te » et c'est tout, c'était indiscutable ! Ç'est ça qui a pa mal évolué. À l'opéra, jouant beaucoup avec des chanteurs, on apprend par observation. Et quand on voit tous les domaines de l’opéra, à commencer par tout ce qui concerne l’articulation dans la notation musicale, puis le texte chanté et le sens du texte, le jeu théâtral sur scène etc., il y a un éventail de paramètres qui est tellement grand ! Je pense que quelquefois, nous avons aussi intérêt à ouvrir notre éventail de paramètres pour enrichir notre discours musical.
Exercices de mécanisme
Si on fait un résumé, quand j’ai appris étant petit, il fallait que le son sorte aisément, et une fois que cette chose-là était mise en place, le travail technique, mais technique dans le style français, est venu très rapidement derrière. C'est à dire au bout de trois, quatre ans, on a commencé à faire beaucoup d' exercices de tous les façons. Et même au tout début, on a tout de suite commencé à faire des exercices dans la méthode Klosé, ce qu'on appelle la mécanique. Ça c’était le travail de la base.
À la recherche des formules musicales
Quand j'ai été étudiant, j'ai commencé à m'intéresser et à chercher d'autres ouvrages pédagogiques; mais pour moi, pas dans l'idée future d'enseigner. Je cherchais à varier ce travail, d'abord parce que cela prenait beaucoup de temps de faire toutes ces gammes, touts ces arpèges. Je cherchais à varier mon travail des échauffements plus courts, aussi efficaces, mais prenant moins de temps, et déjà avec un début de musicalité dedans, des cadences comme dans Rossini ou dans les échauffements des chanteurs qui suivent un petit parcours harmonique ou mélodique.
HM : Est-ce que tu les as composés toi-même ?
MW : Pas vraiment, non, mais j'ai trouvé plusieurs ouvrages. Déjà, Monsieur Lancelot nous avait donné ces exercices de Kroepsch, qui sont nombreux, sur la base des tonalités et qui sont très bons si on les utilise bien. Parce qu'il y en a aussi certains avec de très grands intervalles, qui ne sont pas forcément très bons si on a une embouchure fragile. C'était surtout l'intérêt musical que j'ai trouvé dedans. Ça faisait que j'avais plus d'intérêt de les jouer, et pas que des gammes et des arpèges.
D’abord le souffle…
MW : D’après mon expérience je dirais que le plus important dans le jeu ce n'est pas l'attaque et ce n'est pas la langue, c'est le souffle et le son. Parce que le souffle et le son ensemble, c'est la voix, on chante, on s'exprime avec une voix. A mon sens, évidemment, l'articulation et le langage, tous les aspects du langage sont c'est très important. Mais je commence par dire « il faut souffler, observer comment le son se fait, comment il sort » et j'aborde tous les aspects liés à l'attaque, après. Beaucoup de méthodes de clarinette expliquent d’abord l’embouchure. Après, avoir placé le bec comme il faut, on va faire "tu" et souffler en même temps. Si on parle de la langue et de sa position tout de suite, on va focaliser l'attention de l'élève là-dessus et il va peut-être même déjà oublier de souffler. J'ai déjà vu ça même chez des étudiants très avancés ou ils pensent au staccato, dans certains solos comme la 6ème de Beethoven. Ils sont concentrés à détacher nettement, mais en même temps ils oublient de souffler. Donc il est très important que le souffle soit vraiment la chose centrale, primordiale. Si le souffle et l'embouchure sont bien en place, toute la question de l'émission et du staccato sera plus facile.
...et puis l’articulation
HM : Pour un débutant, comment tu décrirais la position et le mouvement de la langue ? Est-ce la pointe de la langue qui touche la pointe de l'anche ? Il y a différentes opinions et différentes techniques qui fonctionnent très bien ! Quelle est ton expérience ?
La position de la langue :
Derrière plutôt bas
MW : Je dirais que déjà dans le jeu normal, dans le legato, il faut vérifier que la langue ne reste dans sa partie arrière plutôt basse. Il faut faire attention expirer sans crisper la gorge, sans tendre le larynx [2].
Contact avec l’anche : légèrement sous sa pointe
La langue doit attaquer l'anche pas tout à fait au bout, on dit toujours au bout, mais j'attaque un tout petit peu en dessous, parce que c'est moins agressif.
Toucher l’anche doucement
HM : La façon de bouger la langue et la façon de toucher l’anche changera la qualité de l’attaque.
MW : On a quelquefois le sentiment que les élèves comprennent que la langue doit pousser l'anche contre le bec, pour l'empêcher totalement de vibrer. En fait si la langue touche l'anche, déjà l'anche ne vibre plus. Il n'y a pas besoin que le mouvement de la langue soit dur, ni fort. Tout ça pour dire, il faut que ce soit léger.
Le mouvement doit être petit
En fait, ce que j'essaie d'obtenir, déjà de moi mais des étudiants, d'abord que la langue soit détendue et que le mouvement de la langue soit aussi au bout que possible pour faire un mouvement aussi petit que possible.
Les articulations variées
HM : Pour une articulation variée et musicalement parlant, il me semble important de se servir de différents consonants, par exemple "te" ou "the" ou une parfois choisir une émission du son même sans langue. Si on compare l’attaque du son avec celui les cordes, on se rend compte, que sur la clarinette, les instruments à vent, en général on articule souvent beaucoup plus court. Quand les cordes jouent staccato, il y a beaucoup de sonorité, c'est la base. Chez les instruments à vent c'est donné par le souffle.
MW : On va dire que si on a une articulation, quelle qu'elle soit, et qu'on n'a pas une voix derrière cette articulation, c'est comme si on parlait sans voix, ça n'a pas vraiment de sens. S’il y a une seule chose qui doit rester, c'est la voix. L'articulation va donner du relief à ce qu’on dit. C'est pour ça qu’il est important d'avoir un choix de différents modes d'attaques, comme on a des consonnes différentes dans la langue.
Articuler pour renforcer le discours musical
Quand on joue de son instrument, c'est toujours pour dire quelque chose dans un discours musical. Pas pour dire quelque chose qui a un sens précis comme quand on parle, mais cela doit "parler", cela doit communiquer à l'esprit de quelqu'un qui va écouter.
Le double staccato
Condition importante : la cavité buccale bien ouverte
là où on constate que la langue va être très importante, c'est le moment oû on va aborder le double staccato, que je n'ai jamais abordé avant de devenir un musicien professionnel, parce que cela n'existait pas dans les méthodes,
Je me suis rendu compte, presque dès mes premiers services d'orchestre, que le double staccato va être quelque chose qui va beaucoup m'aider. J'avais autour de moi flûte, basson, trompette, cor, tous ces gens-lâ utilisent le staccato double et j'ai trouvé bizarre que nous ne l'utilisions pas. On peut ça aussi comparé avec les cordes qui jouent des traits rapides avec des tirés et poussés. Je trouve que qu’il y a des meilleurs résultats jouant de la même façon, plutôt que de s’arranger avec des petites liaisons pour cacher un détache trop lent. Même si on cache bien, je trouve mieux de faire le même geste avec les autres. En outre le double est beaucoup plus reposant et on évite les crispations.
J'ai donc commencé le staccato double très rapidement mais à ce moment-là, c'est discutable, alors que c'est tellement, tellement utile, et quand un aborde le double staccato, on se rend compte que si on est pas détendu, cela ne va pas marcher. On a besoin d'avoir une cavité buccale bien ouverte et une détente.
S’exercer sans instrument ?
HM : Est- ce que tu t’entraines pour le double staccato aussi sans instrument ?
MW : Alors oui, je fais ça ! Il m'arrive de travailler le double staccato quand je suis sur mon vélo et d'essayer justement de travailler sans instrument la détente du larynx, de la bouche, des mâchoires. c'est comme certains, qui travaillent leurs gammes sur les barres dans le tram.
HM : Le double staccato, es souvent limité quand on monte. Qu’est-ce qui est important pour que cela aille bien même dans les aigus ?
MW : Je pense que la limite dans les aigus est réelle. On peut très difficilement monter au-dessus de do aigu avec le double staccato. Comme le Flatterzunge d'ailleurs qu'on fait avec le bas de langue.
EXERCICES
Dans mon travail, je pars toujours du sol1, de la position la plus ouverte (médium ) puis je descends jusque dans le grave, et après je repars par exemple du sol1 tout ouvert, et je monte dans l'aigu. J'essaie de gratter demi ton par demi ton, pour aller le plus haut possible avec le plus de confort possible.
Après dans pour tous les jours, je pratique beaucoup de façons différentes : par exemple si j'ai une série de staccato sur la même note, très vite, je ne fais pas forcément faire « ta-ta-ta-ta » mais sans langue : ha-ka-ka-ka. Beaucoup de collègues le font aussi.
Dans les traits qui vont monter dans l'aigu, je vais prendre les staccato double dans le début, après prendre le staccato simple pour le sommet de la phrase et reprendre le staccato double en redescendent. Je fais un mélange en fonction de ce qui se passe et en fonction du dessin.
La Sonorité - Quels Qualités à rechercher ?
HM : Quelle esthétique de sonorité cherche-tu à développer avec les étudiants ?
Chanter dans les registres différents de la clarinette
MW : Je fais beaucoup le parallèle avec le chant, c'est très intrinsèque à la clarinette et c’est peut-être pour ça - entre autres choses – que Mozart a adoré la clarinette. Les différents registres de la clarinette sont comparables aux catégories vocales comme soprano, mezzo, alto, contre-ténor, ténor, baryton. Je pense que quand on joue, on doit en imiter les chanteurs. Ce sont des voix qui ont des qualité très différentes. Chez nous, c'est très similaire, le contraste entre le registre du chalumeau et le registre clairon, typique da la clarinette, est comparable aux changement entre voix de poitrine et voix de tête.
Bien connaitre les différentes pressions des différents registres
Quand une chanteuse ou un chanteur travaille sa technique, il va tout faire pour gommer la différence entre la voix de tête et la voix de poitrine, surtout le passage de l'un à l'autre. C'est quelque chose que toutes les écoles de clarinette font aussi : on essaye de relier les registres ensemble et ça évidemment je le fais et j'invite tout le monde à le faire aussi. Surtout le côté un peu trop aisé de l'émission de la main gauche, où le son peut être plus léger et plus pauvre aussi, doit être égalisé avec les riches notes du clairon. En fait l'idée c'est de compenser, en enrichissant et en donnant une pression à ce registre [sol1, sol#1 la1 sib1], qu'il n'a pas naturellement.
Pour homogénéiser et essayer d'égaliser, il est d’abord important de bien connaître le sentiment corporel lié aux différentes pressions, qui se manifestent en changeant entre les deux registres.
Égaliser les registres ? Pas forcément !
Mais par ce travail, j’ai découvert aussi la richesse d'avoir une voix de poitrine et une voix de tête, aussi à la clarinette. Donc autant on doit faire ce travail d'homogénéisation, autant on peut aussi profiter par exemple de la profondeur du registre grave de la clarinette et en même temps d'une certaine légèreté de ses aigus. Ça peut paraître antinomique mais c'est une richesse d'avoir conscience des deux aspects.
S’adapter aux jeux des autres instruments
Je pense qu'on peut étendre cette idée aussi à l'imitation des autres instruments. Si on joue avec un quatuor à cordes le quintette de Mozart, ou celui de Brahms, on va quelquefois copier un peu le mode de jeu des instruments à cordes, comme eux de temps en temps vont essayent de copier le nôtre en vibrant moins que ce qu'ils font habituellement.
L’instrument à cordes dispose de sa caisse de résonnance. La façon dont le son est attaqué avec l’archet et comme il diminue avant de s'éteindre, ressemble à une cloche. On peut très facilement imiter ça avec le souffle. Donc ce n'est pas forcément spontané pour quelqu'un qui souffle ou qui parle, c’est bien possible à faire. On le fait peut-être même inconsciemment, quand on se trouve dans une acoustique très sèche, par exemple une salle en béton-moquette. Ici on donne de la résonnance dans une salle qui n'en a pas, en changeant notre mode de jeu. De la même façon, quand on joue dans un groupe d'instruments à vents, on a très vite l'effet de picorage, comme les poules qui mangent du grain. On peut aussi dans un quintette à vent varier beaucoup son attaque pour ne pas trop avoir l'aspect d'articulation toujours un peu le même.
La base de la sonorité : une bonne posture
HM : Et comment travailler pour obtenir et soigner les qualités sonres ?
MW : Alors ça passe par rechercher une bonne stature, une bonne position. Si on pense bien à cette recherche, d’être bien centré, on va plus facilement trouver une sonorité qui nous correspond et qui nous convient, et on a des chances d'avoir un jeu moins crispé.
Pour privilégier une très bonne stature et trouver la position la plus naturelle, ce n'est pas la tête de l'instrumentiste qui va vers l'instrument, mais c'est vraiment l'instrument qui doit venir tout naturellement à la bouche sans modifier la position, la tenue corporelle. Pour moi c'est très important de toujours revenir à la question d'une stature correcte. Il faut trouver une bonne position sans se faire mal, ni au cou ni au dos, ni aux épaules. Je pense qu'il y a un meilleur rapport à la logique corporelle, une meilleure liberté de jeu. Donc en fait ce que j'essaye, c'est de faire trouver à l'élève - et à moi aussi - la position la plus naturelle qui va donner le moins de tensions, partout ! Ça veut dire : garder le dos bien droit, en même faire attention à une position naturelle de la tête.
La vocalisation - sentir l’intérieur de la bouche
Dans la recherche, que l'élève soit confortable avec le mode d'émission, qu'il sente l'intérieur de sa bouche, c'est très difficile pour un professeur, qui ne voit pas à l'intérieur de la bouche. On doit toujours procéder par observation, par déduction et par l’écoute.
Pour moi c’est très important de bien surveiller la formation l'embouchure, la façon dont on pince les mâchoires, dont on tient les lèvres, mais au moins aussi importante est d’être conscient de ce qui se passe à l'intérieur de la bouche.
HM : Quand tu as parlé des chanteurs, tu as montré sur ton larynx, pour changer de registres. Est-ce que tu crées consciemment différentes positions dans ta voix intérieurement, par exemple quand tu joues plus haut ou plutôt bas ?
MW : Alors vocaliser, oui. Il faut se rendre compte qu’il y a différentes positions dans la gorge et dans la cavité buccale qui correspondent aux différents registres. Il faut activement chercher ces positions.
Trouver et amplifier les chambres de résonance
Les chanteurs parlent aussi beaucoup des résonateurs : les sinus, les résonateurs frontaux. C'est une notion très scientifique et qui frise un peu la médecine. On peut observer une transmission osseuse des vibrations dans nos résonateurs, c'est indéniable. Mais je ne peux pas expliquer ce mécanisme, c'est une question qui pour moi reste un peu ouverte. Mais si on a une vision vocale et qu'on a une attitude de chanteur, cela ne peut être que mieux à mon avis.
Instruments
Influences matériaux
Je sais que même les points de vue scientifiques sont très controversés, ne serait-ce que déjà sur les matériaux, l'intérieur de la perce, la forme des trous, tout ce qu'on veut, mais surtout la question de savoir si l'instrument vibre ou ne vibre pas, et quel impact cela a sur la sonorité. P. ex. pour les instruments à corde, il est absolument évident que la caisse de résonnance entre en vibration et aide l'air contenu dans l'instrument, mais aussi les ondes à se propager, à amplifier le son. Donc l'importance de la caisse de résonnance est indiscutable. Chez nous, il y beaucoup de recherche qui a été fait là-dessus. Il reste d'expertises encore à faire, par ex. sur les clarinettes en matière synthétique, en résine, en bois, comment le bois est coupé, si on et s’il faut prendre le même morceau de bois pour faire l'instrument. Quand on voit des artistes qui peuvent jouer avec des instruments que personne ne veut jouer, mais qui arrivent à obtenir des sonorités magnifiques avec, ça relativise ces questions. Il y a des collègues qui le met leur instrument de côté parce qu’il est « vidé » et ils s’achètent un nouveau, il y a des autre collègues qui prennent des instruments de 200 ans d'âge que aucun clarinettiste moderne voudrait jouer - ça aussi c'est très questionnant.
L'embouchure
HM : Tu parles des instruments qui datent de plus de 200 ans. Toutes les méthodes de clarinette de cette époque prescrivent une embouchure avec les lèvres supérieures qui couvrent les dents. Cette technique d’embouchure a été pratiquée jusqu'au début du 20ème, par ex. par und Prospère Mimart(1911)[1] et même Eugène Gay (1932)[2].
MW : Je vais te faire une confidence : j'ai commencé comme ça.
HM : Tu avais quel âge ?
MW : J'avais huit ans. J'ai commencé par recouvrir les dents d'en bas, et aussi les dents d'en haut. Mon professeur ne le voyait pas.
HM : Lui ne jouait pas comme ça?
MW : Je ne pense pas. Au début, ça marchait très bien, je n'avais pas de soucis particuliers, puis au bout de quelques années, en jouant un peu plus, je commençais à avoir mal à la lèvre supérieure, parce que cela coupe plus, elle est plus fine, il y a moins de muscles, et en parlant avec un autre enfant, il me dit : « mais pourquoi tu fais ça, tu n'as pas besoin de faire ça » J'avais 10 ans, c'était une découverte.
HM : Est-ce que tu penses qu’il fait du sens à faire des exercices de sonorité avec double embouchure ? Pour fortifier les lèvres éviter de mordre en formant l’embouchure ?
MW : En fait tous les clarinettistes ont un parcours et font des expérimentations aussi avec l'embouchure. Mais je ne fais pas ça, évidemment parce que cela coupe, on ne peut pas jouer longtemps. A mon avis, à l'heure actuelle, si on joue dans un orchestre symphonique où il y a besoin d'une certaine grandeur de son, si on "pince" sa lèvre supérieure entre le bec et les dents, cela blesse trop !
Cependant ce que je fais, je cherche toujours à assouplir. Ce que j'ai constaté, si on ne pense pas activement à détendre sa mâchoire et à ouvrir un peu, automatiquement on va se mettre à pincer plus et plus. J'ai constaté chez moi et en travaillant avec les étudiants. Si on ne fait pas un travail actif pendant qu’on joue, au bout de cinq minutes on pince plus qu'au début.
HM : Tu parles de pincer, et tu fais signes « entre guillemets ».
MW : Parce qu'à l'époque on disait" il faut pincer et sourire", c'était pour tendre les lèvres. On a changé cette technique.
HM : Mais il faut une certaine pression, sinon l'anche ne vibre plus ?
MW : Oui, bien sûr une petite pression, c’est juste.
EXERCICE
De temps en temps je m'amuse même à ne pas toucher du tout le bec avec les dents supérieurs, et à voir à quel point je peux détendre et j'invite aussi les étudiants à faire cette expérience, pour voir à quel moment le son va décrocher et ne plus avoir de tenue, de qualité, et je vais flirter un peu avec cette limite, je vais pincer un tout petit peu plus que cette limite et rechercher cette limite, pour avoir la détente maximum, tout en ayant une belle qualité de sonorité.
HM : Est-ce que pour jouer avec cette limite, tu utilises aussi le travail de la tenue de la clarinette, pour obtenir une petite pression de l'instrument sur l'embouchure ? On peut pousser un tout petit peu avec la tenue de la clarinette vers la lèvre.
MW : Non ça, je ne fais pas. J'essaye d'éviter que les étudiants le fassent. Pourquoi ? parce que je pense qu'un instrument qui fait 800 grammes, posé sur le seul pouce, c'est déjà un gros effort à demander au pouce.
Position de la mâchoire inferieur
Mais la position de la mâchoire inférieure peu avancer plus ou moins.
Utiliser les protège-becs
Après avoir changé l’embouchure, j'ai joué, comme on faisait à l'époque, en posant les dents sur le bec et « en pinçant », sans me poser plus de questions jusqu'à l’âge de 17/18 ans. À cette époque-là, on n'avait pas les protège-becs, les petites pastilles en caoutchouc ou en plastique. En accumulant les heures et les heures, j'ai commencé à avoir des vibrations dans tête, pas vraiment des maux de tête, mais quelques douleurs liées à la transmission des vibrations. J'ai aussi entendu parler des vieux clarinettistes qui avaient des problèmes des dents qui se déchaussaient. C’était à ce moment-là que sont sorties les pastilles. Je me rappelle qu'on prenait des caoutchoucs de vélo, on essayait de coller ça sur le bec. Ça change la transmission osseuse, et notre perception de la sonorité est modifiée. Je ne suis pas 100% sûr que cela modifie la perception des autres personnes, en tous cas la nôtre est beaucoup modifiée. A titre personnel, j'aime bien les sonorités les plus rondes, aussi chaudes que possible, ce qui donc rend pour moi le mieux, c'est quand je mets une pastille, pas forcément très épaisse, mais qui amortit pas mal la transmission osseuse, parce cela me limite un peu les fréquences aigues transmises directement par le bec.
L’angle entre clarinette et corps
Si on lève l'instrument, comme par exemple, dans les symphonies de Mahler, ou si on le descend, si on le joue contre le corps, c'est toujours intéressant d’observer le changement des paramètres et le résultat sonore liée ce changement. Cette jonction corporelle entre le port de la tête et la tenue des bras qui tiennent l’instrument, change la situation dans le domaine bec et l'embouchure. C'est délicat, ça fait une espèce de triangle ou il faut ménager chaque côté et chaque angle du triangle.
La souplesse des doigts
Bien observer la position des bras
Dans le triangle instrument - corps – embouchure, la position de l’instrument est peut-être ça qui est le plus simple à modifier. Ça implique la position des mains sur l'instrument. On peut jouer des instruments de longueur tellement différentes, avec des écartements de doigts très différents, des angles différents, il y a pas mal à trouver de ce côté-là, mais quand même en essayant d'éviter de tirer, de tendre l'accroche des muscles des bras et l'accroche des bras aux épaules. Je pense qu'il y a à travailler là-dessus. Ni soulever les coudes, ni trop les avancer, parce que cela provoque pas mal de tensions qui sont souvent inutiles.
La forme des doigts
HM : est-ce que tu y tiens, que les élèves jouent avec des doigts un peu arrondis, jamais tendus ?
MW : C'est très différent selon chaque personne. C'est comme quand on m'a dit que les doigts doivent avoir toujours une forme arrondie et détendue, autant que possible, et j'ai beaucoup observé que des élèves qui ont les doigts très à plat, peuvent être détendus même si la position ne donne pas l'impression d'être détendue, et sont très inconfortables quand ils essaient de faire l'arc de cercle qu'on dirait « naturel ». J'ai déjà vu des étudiants jouer avec une virtuosité sans problèmes avec des doigts dans une position qui aurait été pour moi très inconfortable. Donc je pense que nous ne sommes pas du tout égaux par rapport à ces questions de position. Il faut que chacun avec sa propre physionomie, la longueur de ses doigts, l'ergonomie de l'instrument, trouve la position qui lui convenianne le mieux.
Support pouce
HM : Le fait que le pouce porte tout le poids de l’instrument, ca. 800 grammes, peut gêner la légèreté des autres doigts.
MW : 800 grammes dans le meilleur des cas ! Pour une clarinette en si-bémol, c'est 850, ou même 900 ! Ce poids qui pèse sur le pouce, c’est mal fait, c'est très paradoxal : il évoque une tension dans la main, c'est à dire le petit et le quatrième doigt risquent d’être crispé.
Un coussin sou le pouce ?
J'ai aussi pas mal expérimenté là-dessus. Il y a quelques années, c'était très en vogue d'essayer d'éloigner le pouce, pour dire d'écarter la pince pour rechercher une détente dans la main droite. Avec toutes ces expériences, je suis arrivé à la conclusion que ce n'est pas forcément en écartant le pouce de l'instrument qu'on va trouver la meilleure détente, peut-être même le contraire. La encore, c'est très personnel.
Position du support pouce
HM : Est-ce que tu as le support pouce au même niveau que l’index ? Les luthiers le mettent de façon que le pouce soit plus bas même que majeure.
MW : Le pouce serait plus en face du majeur qu'en face de l’index. En fait la hauteur du support de pouce n'est pas forcément aussi capitale pour moi. Je joue souvent d'instruments différents, la clarinette sib / la, le cor de basset, la clarinette de basset. Comme j'utilise la mème rallonge pour les clarinettes basset en Sib et en La, alors j'ai dû relever mon support de pouce à la clarinette pour que les clés (Do Do# Re, Re# joués avec le pousse droit) puissent rentrer dessous. Je fais la même chose avec les instruments historiques, le pouce peut être placé à des endroits différents. Je crois qu'on peut arriver à trouver une détente avec des positions du support de pouce assez différentes.
EXERCICE
Pour contrôler de la détente des doigts 2 à 5 de la main droite J’essaie de mettre une pression avec ma main gauche sur mon pouce droit et j’essaye de résister à cette pression, et en même temps je garde la main droite détendue, et de retrouver cette détente sur l'instrument après.
Cordon ?
Par rapport à cette question du support de pouce, beaucoup de gens jouent avec un cordon pour sauver un peu leur pouce. A titre personnel, je n'aime pas ça, parce que cela a une action sur un autre angle c'est à dire ça défavorise la position du cou. Étant donné que le cordon est presque parallèle à l'instrument, cela exerce une pression sur le cou que je trouve néfaste et une pression sur l'embouchure parce que cela fait remonter mécaniquement l'instrument vers la bouche.
Plutôt Poser la clarinette sur les genoux
Quand je suis face à une petite difficulté liée au pouce, au support de l'instrument, je préfère dire à l'élève de jouer assis et de reposer, en tous cas pour une partie de son travail, l'instrument sur les genoux. Ça nous permet de rechercher une bonne position assise. Un clarinettiste qui se destine au métier, va jouer 90 ou 95% du temps assis et pas debout. Donc de toutes façons il y a une recherche à faire pour bien pouvoir respirer et bien pouvoir se tenir assis. Le plus important pour moi est de sauver la détente de la main droite. Il faut épargner au maximum le pouce. Moi-même quand je joue à l'orchestre, je n'hésite pas à poser mon instrument sur les genoux, le pavillon donc, pour relaxer ma main droite : je n'en fais pas une histoire de principe, de dire que parce qu'on pose son instrument sur les genoux, on va jouer moins engagé. L'engagement n'est pas lié à ça. Cependant je pousse énormément les étudiants à avoir un jeu très actif et très engagé.
Les doigts percussifs
HM : Est ce qu'il y a une différence dans le mouvement des doigts quand tu joues un legato ou quand tu joues un trait très virtuose ? Ou est-ce toujours le même ?
M. Ah c'est intéressant. Là je vais te donner le point de vue de quelqu'un d'autre, mon épouse, elle est bassoniste et elle dit : « vous les clarinettistes, vous êtes drôles, vous n'entendez pas les impacts de vos doigts sur l'instrument ou alors peut-être même que vous aimez cet impact ». Le fait qu'on ait ce tube cylindrique avec des trous relativement gros, fait comme un effet de percussion, qui est d'ailleurs utilisé en musique contemporaine mais qui fait que quand on tape les doigts sur les trous, ça fait comme un effet de percussion is qui fait presque partie intégrante de notre discours. J'essaie de gommer cet impact, de toutes façons d'avoir les mains détendues et souples et l'instrument très bien réglé. Cependant, utiliser ce côté percussif comme dans la musique de Stravinski ou de Janacek, donner des cotés un peu accentué, ça me paraît bien intéressant.
Transcription et rédaction:
Heinrich Mätzener, Rigi Scheidegg, 1. Augus 2018