Sylvie Hue

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L'interview avec Sylvie Hue a eu lieu le 2 mai 2018 à Paris, mené et rédigé par Heinrich Mätzener.

HM : Dans les méthodes on trouve toutes les facettes d’études techniques en notations musicales. Mais jouant un instrument à vent beaucoup se passe à l’intérieur du corps, invisibles à l’œil nu. Peu de textes expliquent les mouvements sur le plan physiologique, p.ex. comment en détail utiliser la langue pour le détaché, comment diriger l’air pour jouer un legato

Canon didactique

HM : Les clarinettistes qui ont passé l’école française ont une technique brillante, une articulation d’une légèreté remarquable. Quand je prenais des cours avec Guy Deplus, il nous faisait jouer un parcours technique chaque leçon. Il le faisait avec tout le monde, les débutants et même avec les étudiants assez avancés. Après on se consacrait au travail d’interprétation. Restes-tu dans cette tradition et travailles-tu de la même façon ? Ou commences-tu les leçons avec les morceaux de la littérature et travailles-tu la technique selon les besoins des traits difficiles ?

On gagne du temps en travaillant les gammes

SH : Guy Deplus était vraiment mon professeur et moi j’ai vraiment gardé sa tradition. Parce que je trouve que le travail des gammes, c’est absolument indispensable, bien sur pour développer l’agilité des doigts, pour connecter la droite, la gauche. Mais aussi dans le répertoire, il y aura toujours un moment où on va trouver une petite gamme tonale, on va trouver des arpèges, on va trouver ces petites formules que l’on a dans les gammes. Donc finalement on gagne du temps sur le travail des morceaux : c’est un peu des clichés que l’on va retrouver partout dans le répertoire tonal. Donc pour moi, c’est indispensable. D’ailleurs dans ma méthode de clarinette [1] , en tête de chaque leçon, et dès la première leçon, il y a un petit embryon, un petit début de gamme. Dans le deuxième volume, il y a carrément la gamme, parce que pour moi, c’est naturellement, on commence le travail, on commence par une gamme. Si on a le temps on en fait 20 minutes, même pour un professionnel et si on n’a pas le temps, on en fait 3 minutes, mais cela ne fait rien : on commence comme ça.

HM : Et ça facilite aussi la lecture à vue, n’est-ce pas ? SH : Bien sûr. Une gamme entière, tu la photographe. Si tu avais travaillé tes gammes, tu n’as pas besoin de la lire, c’est bon.

Gammes et arpèges à partir d’environ 15 ans par cœur

HM : Fais-tu travailler les gammes et arpèges assez vite par cœur ou la plupart du temps avec les partitions ? SH : Les enfants, c’est d’abord avec la partition. L’enseignement en France est divisé en cycles : dans les conservatoires ce sont des cycles de 4 ans, et il y a 3 cycles. Donc j’impose les gammes par cœur à partir du troisième cycle. Normalement ils ont 8 ans pour apprendre les tonalités avec la partition et puis finalement je leur fais comprendre que c’est plus facile par cœur. Finalement c’est une question de ressenti avec les élèves. Quand on sent qu’ils sont assez à l’aise avec les modèles, les « patterns » des gammes et des arpèges, quand ils les ont dans l’oreille et dans la mémoire de l’oreille, hop, on fait par cœur. Au début, ils trouvent cela un peu difficile et au bout de 3-4 fois, c’est bon, ils ont compris : cela vient assez vite.

Ne jamais séparer la technique de la musique

HM : Comment peut-on rajouter un component musical au travail des gammes ? SH : Bien poser le premier son, ne pas laisser tomber la dernière note, bien soutenir surtout tout le registre, terminer joliment la dernière note, ça c’est bien sûr nécessaire. Moi de toutes façons, je crois que c’est le B à BA de l’enseignement ! Il ne faut jamais séparer la technique de la musique, cela va ensemble.

Suivre une démarche cartésienne

Voire ORTOLANG

Travailler des mouvements sans instrument

Voir aussi : La respiration, utiliser des images HM : Souvent il est compliqué d’apprendre et de combiner tous les mouvements qui font finalement vibrer nos instruments. Je pense qu’il est quelquefois raisonnable de travailler sans instrument. Il est plus facile de coordonner une séquence de mouvements, par exemple pour l’attaque d’un son. Là il faut d’abord décrire les positions et les mouvements de la langue, qui sont optimal pour articuler. Est-ce que tu penses que c’est une bonne idée ? Ou faut-il toujours l’oreille qui corrige les mouvements et qui mène les mouvements dans une bonne direction ? SH : Oui, parce que je pense que c’est une démarche vraiment cartésienne . Quand on prend un instrument, il y a 300 difficultés à la fois. Donc je pense qu’il faut commencer par des choses simples : par une, voilà. Si on prend, avec un enfant, toutes les difficultés de front, c’est trop. Donc j’essaie de faire cela de façon rationnelle. On commence par quelque chose de basique, de simple. Déjà le travail de la respiration, c’est sans instrument. On ne va pas le faire longtemps, parce que l’enfant veut jouer, donc on ne peut pas faire ça pendant une demi-heure. Mais déjà apprendre à respirer, la sensation de la respiration, oui sans instrument ! Comme le détaché. Je dis aux enfants : « tu es capable de dire ta ˘ ra ˘ ta ˘ ta ˘ ra ˘ ta ˘ ta. Vas-y, dis-le ! Alors souvent, ils hésitent. Je leur dis : « avec moi ! On va le faire ensemble. » Après il le fait tout seul : je lui dis : « tu vois, ça marche, donc si tu peux le dire, tu dois pouvoir le faire avec la clarinette. » Donc sans instrument c’est bien pour des choses assez fondamentales. HM : Alors apprendre des mouvements de bases sans instruments, c’est plus facile à coordonner. Et dans un deuxième pas, on affine le mouvement en utilisant l’oreille. Là on s’aperçoit, que le mouvement de la langue est peut-être trop grand, ou trop robuste. Et l’oreille va diriger les corrections qui sont à faire pour assouplir les mouvements, et pour atteindre l’objectif sonore.

Connaître les priorités, corriger pas à pas

HM : Des fois l’enseignement est difficile, parce que tout est connecté, la posture, la tenue de l’instrument, la formation de l’embouchure. On ne peut pas tout dire et tout corriger en même temps ! Il faut une vue pour l’horizon pour savoir où mener l’élève, et corriger point par point. SH : C’est ça qui est difficile je trouve dans l’enseignement : c’est sûr qu’il y a des élèves qui jouent, tout est placé, ça marche très bien ! Mais ce n’est pas la majorité ! Il faut savoir quelle est la priorité d’abord, corriger les défauts les uns après les autres.

Encourager les élèves !

Et il faut aussi savoir dire à l’élève quand quelque chose est corrigé, il faut aussi les encourager ! Psychologiquement, on ne peut pas toujours être dans le négatif évidemment.

Raffiner les mouvements, éduquer les oreilles

SH : Détacher (voire aussi Detacher) nettement, ça c’est déjà plus difficile, parce que cela suppose que l’enfant ait une idée de ce qu’il faut faire. L’enfant ne sait pas le rendu. Donc le défaut général des petits c’est qu’ils font trop ! Ils détachent devant ! Évidemment, ils mettent trop de langue. Effectivement, il faut leur éduquer l’oreille, mais en le jouant. Le professeur joue et leur explique : « voilà, on doit entendre ça (en le jouant) ». Dans le grave évidemment, parce que c’est plus facile. Je leur décris le mouvement dans le sens que la langue se retire de l’anche en direction d'avant en arrière. J’essaie de leur faire comprendre que pendent le détachée le fond de la langue soit plutôt basse. Il faut bien se rappeler des sentiments dans l’intérieure de la bouche et de ce que ces positions et mouvements évoquent. Et ça c’est vrai que ce n’est pas facile !




Références

  1. Hue, Sylvie (2001). L'Apprenti clarinettiste, Manuel pratique pour débutant. Vol.1&2. Paris, Combre, 2001